Bien des années plus tard, le même Pylade, ravagé dans sa chair comme dans son esprit, aimant Electre d’un amour impossible, se met en quête d’Oreste afin qu’il venge son père et lave dans le sang l’honneur bafoué de sa dynastie…
Un instant, Breccio ! Qu’est-ce que tu nous racontes là ? C’est un site de western, ici, pas de péplum ! Alors, c’est quoi, ce délire ?
Pardon.
Pouf, pouf.
La guerre d’indépendance du Mexique est enfin terminée ! C’est un général Carrasco (José Suarez) triomphant qui regagne Oaxaca, où l’attendent Anna (Luciana Paluzzi), son épouse aimante, son fils Sebastian et sa fille Isabel. Hélas ! il ignore qu’Anna et son amant, Tomas (Alberto de Mendoza), ont juré sa perte, et, alors que la fête bat son plein, son épouse traîtresse, après avoir endormi sa méfiance, le tue impitoyablement avec la complicité de son amant, sous les yeux horrifiés de la petite Isabel. Sebastian, quant à lui, a été emmené au loin par une fidèle nourrice, et le jeune Rafael, son plus fidèle ami, n’a pu qu’assister impuissant au massacre de la maisonnée.
Bien des années plus tard, le même Rafael (Peter Martell), ravagé dans sa chair comme dans son esprit, aimant Isabel (Pilar Velazquez) d’un amour impossible, se met en quête de Sebastian (Leonard Mann) afin qu’il venge son père et lave dans le sang l’honneur bafoué de sa dynastie…
Bon, et là, ça va ? On est au Mexique, dans les années 1870, tout le monde est armé d’un Colt ou d’une Winchester plutôt que d’une javeline, et ils sont tous à cheval. Je peux continuer ? On est bien dans le western pur et dur ?
Merci.
Le motif de la vengeance est l’un des plus prégnants du western all’italiana, alors pourquoi pas revenir à l’histoire de vengeance la plus connue de la tragédie grecque, à savoir l’Orestie, pour trousser un scénario de spaghetti ? C’est ce qu’ont fait Baldi et ses coscénaristes (Pier Giovanni Anchisi, Vincenzo Cerami, Federico De Urrutia & Mario di Nardo). Comme la tragédie grecque n’est plus guère enseignée dans nos écoles, vous êtes excusé si vous ne voyez pas de quoi je cause. Faites une petite recherche sur le net ou consultez l’indispensable Dictionnaire de la mythologie grecque et romaine de Pierre Grimal (PUF – 15e édition, 2002, pour l’exemplaire en ma possession), et vous comprendrez de quoi il retourne.
Non seulement les grandes histoires sont éternelles, mais en plus ça fait un sacré bail qu’on les a écrites. Celle-ci est du nombre et, quand on la connaît un peu, on apprécie d’autant mieux les tours et les détours de cette adaptation western.
Deux exemples pour illustrer mon propos :
1. Dans certaines versions, pour citer Grimal : « Elle (Clytemnestre) prépare pour lui (Agamemnon) un vêtement dont les manches et le col sont cousus et qui l’embarrasse au moment où il sort du bain et où il essaie de s’habiller, ce qui permet de le frapper sans risque. » Dans le film de Baldi, Anna cache la veste de Carrasco afin d’attirer celui-ci dans un endroit où Tomas peut le poignarder dans les meilleures conditions.
2. Après avoir perpétré son forfait, « Egisthe (je cite encore Grimal), pour éviter qu’Electre ne mette au monde un fils qui pourrait venger le meurtre d’Agamemnon, a marié la jeune fille à un paysan installé loin de la ville. Mais son mari a respecté sa virginité. » Dans le film de Baldi, le paysan devient un humble commerçant (Luciano Rossi, excellent), qui s’allie aux vengeurs le moment venu.
Quand on ne connaît pas l’histoire qui sert de templet à nos scénaristes, on risque malheureusement de perdre pied assez vite, et c’est ce qui est arrivé à pas mal de commentateurs, à en juger par certaines critiques publiées ici et là. Ce qui donne une petite idée des limites de l’entreprise. Oui, Baldi et ses collaborateurs se sont montrés plutôt gonflés en nous concoctant ce film. On peut estimer qu’ils auraient dû opter pour la simplicité plutôt que d’ajouter des fioritures inutiles.
Premier exemple : Francisco (Piero Lulli), un homme de main de Tomas, a castré Rafael pour le châtier, ce qui accroît la dimension tragique du personnage, et fournit une assez jolie symétrie avec le personnage d’Isabel, vierge éternelle, mais débouche sur une impasse du point de vue scénaristique.
Deuxième exemple…
ATTENTION : SPOILER !
… on apprend lors de la scène finale qu’Anna n’est pas la vraie mère de Rafael et d’Isabel, ce qui plonge cette dernière dans la folie. Malheureusement, cette révélation fout tout le scénario en l’air si on y réfléchit cinq secondes (essayez).
FIN DU SPOILER.
Par ailleurs, si, dans le mythe fondateur, les agissements de Clytemnestre s’expliquent par le sacrifice de sa fille Iphigénie perpétré par Agamemnon, dans le film, si j’ai bien compris, Anna agit comme elle le fait uniquement parce qu’elle a le feu aux fesses. C’est un peu court. À sa décharge (si j’ose m’exprimer ainsi), elle finit par être dévorée par le remords…
Bilan final : un film très attachant, visuellement assez époustouflant (excellente utilisation des décors naturels, de la couleur et de la texture), bénéficiant d’une troupe d’acteurs dans l’ensemble épatants (Peter Martell est d’une intensité parfois électrique, Alberto de Mendoza est parfait dans le registre méchant visqueux, j’ai déjà signalé la prestation de Luciano Rossi, Pilar Velasquez est belle à damner un saint

Breccio a dit : allez-y voir de plus près.
Comment visionner ce film ?
C’est assez facile. Il existe un DVD en français ayant connu au moins deux éditions, la plus récente sous le titre Les Pistoleros de l’Ave Maria, vendu en pack avec Captain Apache (1971), un film dispensable signé Alexander Singer, avec Lee Van Cleef, sa perruque et ses talents de chanteur

Reste un problème. Aussi bien Jean-François Giré dans son livre Il était une fois… le western européen que les éditeurs de Western all’italiana indiquent pour ce film une durée de 88 minutes, ce que semble corroborer la fiche imdb…
http://www.imdb.com/title/tt0065104/
… et la durée de la plupart des DVD disponibles n’est que de 80 minutes. Selon « Mortimer », qui déclarait ici même le 6 avril 2006 : « La mort du méchant et l’incendie final servent de prétexte à un ultime flash-back (on peut le voir dans la version italienne) de plus le DVD est amputé de deux scènes avec l’excellent Piero Lulli. » Mortimer, si tu lis ces lignes, donne-nous un peu plus de détails, s’il te plaît : cet « ultime flash-back » contient-il d’autres révélations ? Personnellement, j’en ai eu mon content à la vision des 80 minutes de cet excellent petit film.