Curieux film que
Le Mari de l'Indienne, que je viens de visionner.
Primo: s'il n'y avait la jaquette du DVD et le générique d'ouverture, rien ne laisserait augurer d'un long-métrage de Cecil B. DeMille, tant nous sommes loin de la virtuosité visuelle qui serait celle de l'auteur des
Dix Commandements, quelque vingt-cinq ans plus tard.
Le spectateur est même en droit de se demander en quoi cette oeuvrette peut être supérieure aux deux moutures muettes précédentes, réalisées en 1914 et 1918 par le même DeMille et tirées de la même pièce de théâtre originale, signée Edwin Milton Royle.
Secundo: du théâtre, le film a hérité de tout ce qui handicape la transposition d'une pièce sur grand écran: les vingt premières minutes souffrent ainsi d'une mise en scène étriquée, statique et bavarde, où plusieurs plans et expressions de comédiens sont affectés par le jeu parfois outrancier d'un cinéma muet encore très présent dans les mémoires en ce début du parlant.
Il faut donc être courageux et avaler un laborieux prologue " moderne ", fait d'interminables causeries de salon en tenues de soirée, pour enfin accéder au Far-West, via un plan fixe qui ne dénoterait pas dans un album de
Lucky Luke: des vautours perchés sur des branches mortes autour d'une pancarte de bois ; il ne manque que le crâne de bison dans le coin du cadre.
Sitôt amorcé ce virage westernien, la réalisation se fait un peu plus aérée, un peu moins raide, sans toutefois donner dans le miracle.
Comme nous l'avons dit, le DeMille du
Mari de l'Indienne n'est pas encore celui qui immortalisera Moïse, ni même celui de
Pacific Express (1939) ou des
Conquérants du Nouveau-Monde (1940).
C'est du côté de l'histoire et des personnages, plus que de la mise en scène -somme toute assez banale et illustrative- , qu'il faut chercher les qualités de ce western atypique: dans sa platitude formelle, le film est sauvé de l'ennui par son héroïne, la squaw Naturish (formidable Lupe Velez).
Bien entendu, une telle figure de femme, entièrement soumise et dévouée à l'homme blanc qu'elle idolâtre pour l'avoir sauvée d'un viol, ferait de nos jours bondir toutes les Marlène Schiappa et autres féministes de comptoir.
Mais cette Indienne, bien qu'intellectuellement limitée, possède en elle la plus grande des richesses: l'altruisme et l'amour de son prochain, des valeurs bien souvent mises à mal par l'opulence de la société de surconsommation d'un monde moderne prétendument civilisé.
A ce titre, Naturish irradie la pellicule de par ses postures de madone tragique, dépossédée de son fils par la cruauté de cette " civilisation " qui ne saurait tolérer qu'un enfant métis ne devienne pas un vrai bon Blanc éduqué à Oxford.
La scène la plus évocatrice de ce propos est sans nul doute celle nous montrant le petit Hal dédaigner le cheval de bois sculpté avec amour par sa mère, au profit d'un train électrique venu de l'autre côté de l'océan, et forcément bien plus attrayant.
La fin du film achève de figer Naturish dans son statut d'héroïne tragique, au sens quasi-antique du terme: traquée par le shérif et ses hommes, sachant pertinemment qu'elle ne reverra jamais son fils, elle préfère se donner la mort en serrant contre son coeur le cadeau refusé par le fruit de ses entrailles.
Le film terminé nous laisse sur une impression mitigée:
Le Mari de l'Indienne n'est peut-être pas un " vrai " western, plutôt une fable délocalisée au pays des buses et des cow-boys, mise en boîte sans génie particulier, pour ne pas dire avec une certaine paresse.
Reste la satisfaction d'avoir rencontré une héroïne indienne dont on se souviendra, bien que tout un monde sépare cette Naturish de la future Sonseeahray que camperait Debra Paget dans
La Flèche brisée (1950).
A voir au moins une fois, pour approfondir sa culture du genre...
