Messagepar gilson » 19 juil. 2011 11:14
Rentrant de vacances (il paraît que l’eau était bonne. Au fait : bonjour à tous), j’ai emprunté qq DE MILLE à la bibliothèque. Revu « Pacific Express » avec délectation. Voulais mettre mon grain de sel, mais va te faire fiche : pas de « Pacific Express » dans les rubriques. Pas vu de biographie du bonhomme non plus. Une odeur un peu trop tenace de liste noire? Mais les petits vieux, sur Internet, vous savez ce que c’est : il faut tout leur dire ou leur montrer. Je mets mon message ici, quitte à être remis à ma place (pas possible qu’il n’y ait rien sur le forum).
Je rappelle l’histoire en deux mots, deux mots et demi : comment le Pacifique rencontre l’Atlantique, comment le chemin de fer de ce coté-ci rencontre le chemin de fer de ce côté-là. Autrement dit, rien de moins que la Conquête de l’ouest, re-racontée sous cet angle. Mais attention : DE MILLE ne s’égare jamais (lui !!) : maîtrise et resserré du propos souverains, qui ont l’air d’aller de soi. Regardé dans le petit dictionnaire des films (Bouquins, rien de spécialisé) : qq lignes, alors que le film est bel et bien qualifié de westerns parmi les plus beaux. Et il l’est, messeigneurs, beau !
Je parlais de maîtrise et de resserrement: tout pour les personnages, peu pour ce qui les entoure. Ce n’est pas DE MILLE qui va créer (ou broder sur) l’iconographie de l’Ouest (paysages de Monument Valley, etc) : décors élargis ou proches, pas intéressé. En revanche, quel boulot sur le scénario ! Un vrai travail de ruminant : chaque élément ou presque du récit est remastiqué, répété, réutilisé, re-digéré, comme on doit faire dans les bonnes maisons ou les bons estomacs, d’ailleurs (tout le monde sait ou devrait savoir que sans répétition, il n’y a pas de récit, ni de texte). Et cela même pour les personnages secondaires (gag –pas très drôle mais gag quand même-sur les nombreuses femmes de Fiesta). En ce qui concerne les premiers rôles, croix du personnage de B STANWICK, merveilleuse en Molly. Même la statue de l’Indien (espèce d’objet de bazar) est réaccommodée. Presque une règle d’or. DE MILLE creuse un sillon, approfondit le trait (je me souviens que Mussel parlait de netteté à son propos), avec une économie (pour cette « épopée ») à la HUGO (si V HUGO était vivant, il serait aussi millionnaire en dollars, rien qu’en étant scénariste à Hollywood). Il va très loin dans la même direction, et a l’art d’aller juste un peu trop loin et d’en revenir, un peu comme J CAMERON qui me semble un héritier de DE MILLE à certains égards : vous vous souvenez de la scène de la fin de « Titanic » où la vieille Rose enjambe la rambarde, et où on se dit que tout ça pour ça, elle y était déjà deux heures avant (ou 80 ans, cela dépend comment on calcule), que maintenant, à son âge, c’est simplement ridicule ; on se dit, donc, : patatras, le film va se casser la figure, ça fiche tout en l’air ; et là, il (CAMERON) se rattrape : ouf, c’était juste un diamant qui vaut deux fortunes qu’elle jette à l’eau ou qu’elle laisse tomber.
Ce travail sur l’histoire, dont je causais, ne nous mène d’ailleurs jamais à des « scènes à faire » (rien de systématique ni d’appuyé) mais à qq moments extraordinaires où le simple et le naturel d’un côté, et la complexité de l’autre, le personnel (individu) et le social (le groupe), aussi, se rencontrent, moments de pure suspension, de … lévitation presque : l’histoire du chemin de fer se lit derrière l’histoire des personnages, laquelle dessine un troisième niveau, celui du sacrifice de l’amour pour l’amour ou par amour. Je songe, bien sûr, pour ceux qui se souviennent du film, au moment où B STANWICK accepte d’épouser le mi-méchant (oui, chez DE MILLE, on a cela aussi en magasin) par amour pour J MC CREA qu’elle a aimé dès (je la cite) la première gifle qu’elle lui a donnée !!! La scène de l’attaque indienne dans le train contient un peu le même effet, mais produit autrement sans doute. (Si j’y pense, d’ailleurs, il y a chez DE MILLE, une constante, une fréquence, au moins, de ce genre : l’ascension, sous des formes très différentes, réelle ou mentale : celle, inoubliable, des lions montant vers l’arène dans « Le Signe de la Croix », parallèle avec celle des chrétiens puis des amants ; celle, plus maladroite, il m’a semblé, de la scène de réincarnation du majordome, ante-incarnation, plutôt, dans « Male and Female » ; notez qu’il faut être DE MILLE pour oser faire se réincarner un tyran de Babylone en simple majordome, mais enfin, en matière de métempsycose, on fait avec ce qu’on a). Vous me voyez venir : vous avez dit « sublime » ? Pas moi, vous. Je me demande seulement, même si on se gardera bien de confondre sublime et classique, ce qu’est le classicisme dans les westerns, si ce n’est pas un mot un peu malcommode (ou trop pratique !) pour parler de pas mal de choses, un mot de toute façon emberlificoté dans son emploi à propos de littérature ou d’autres arts, un mot gêné aux entournures. Car DE MILLE est considéré comme un classique, non ?*
D’autres choses à dire mais je ne voudrais pas être trop long. Juste ceci : le film est en NB (1939 ; je ne sais pas de quand date la couleur ; ne répondez pas : je ne retiendrais pas. J’imagine qu’elle en est à ses tout débuts) : il n’en est que plus concentré. Mais je le signale parce que DE MILLE me semble être un des plus grands coloristes du cinéma (« Le plus grand Chapiteau… », par ex, ou « Les Tuniques Ecarlates », postérieur d’un an seulement à « Pacific Express », d’après ce que je lis dans mon petit dico, « Les Tuniques », donc, si j’en crois mon souvenir, j’espère que je ne confonds pas, un film éclatant, flamboyant, de ce point de vue), et, apparemment, cette conquête de la couleur n’a pas été difficile pour lui. Je sens d’ici l’objection, si, si : la couleur, chez DE MILLE, est trop criarde, vulgaire. Sauf que celle de « Samson » (il s’agit de pas moins que ceci : incarner LA femme traitresse et amoureuse tout ensemble, et rendre le spectateur raide fou d’Heddy LAMARR, ce qui a pas mal marché avec moi), celle de « Samson », donc, ne me paraît pas celle du « Chapiteau » (les couleurs d’un cirque sont soulignées, appuyées, sans vergogne, à l’évidence), ni celle des « Naufrageurs », bien plus discrète et enveloppée (dans mon souvenir, là encore).
*Mes propres âneries me laissent songeur : en l’espace de 20 ou 30 ans, 40 parce que c’est vous, le cinéma parcourt (aurait parcouru ?) et dépasse largement le trajet (art symbolique, auquel se rattacherait le sublime, si mes souvenirs ne me trompent pas, art classique, puis art romantique, tout cela selon une subdivision ancienne, du 19ème), dépasse le trajet, dis-je, que les autres arts ont mis des siècles à faire. On dira que c‘est normal, puisque le petit dernier (le cinéma) a pris le train en route, et qu’il est le produit d’hommes vivant en des temps bien en aval de ces périodes étiquetées, et qui ont connu plein d’autres -ismes. Ce que je veux dire est que cela amène à utiliser ces étiquettes avec une pincée de circonspection.
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gilson le 19 juil. 2011 13:09, modifié 1 fois.
"Words have too many shadows." (Little Dog, dans "La Plume Blanche"). Et j'ajoute: "Na!"