Nous sommes au tout début de "The searchers", mue par on ne sait quelle sensibilité féminine, Martha sent que, dehors, un événement se profile...

Poussée par la caméra (et suivie par nous, spectateurs) elle s'avance doucement sur le seuil de sa maison.

La caméra oblique un peu, le champ s'élargit...

Et accompagnée par la splendide musique de Max Steiner, Martha découvre ce paysage dans lequel un cavalier progresse vers sa maison.
Durant les quelques dix minutes qui suivent, la caméra ne bougera plus.
Tout sera filmé en plan fixe jusqu'à l'arrivée du révérend Samuel Johnson Clayton.
Et là, à partir de cet instant où l'approche des cavaliers est perçue dans la maisonnée :

Un zoom avant nous rapproche des personnages (et de la porte) :

De la même façon que dans le plan de début, un angle se crée :

Qui nous dirige tout droit vers l'extérieur :

Entretemps, il se sera agi de nous montrer qu'un intérieur sans mouvements, sans grande vie, sans richesse en fait. Le plan fixe apporte tout l'austérité à ce propos.
Les deux mouvements de caméras, assez semblables dans leur trajectoire, soulignent, si ce n'est saluent, l'arrivée de deux personnes d'importance.
Et quand le révérend entre en scène, changement de caméra !

A noter : durant cette séquence, Ethan (John Wayne) n'est pas présent. L'événement de son arrivée (environ 8mn avant) ne se dilue pas dans l'arrivée du révérend. C'est important en termes de positionnement de personnages.
Il arrivera un peu pus tard. par la porte du fond et dans l'axe du plan. Plein centre.
Une façon de filmer proprement sublime de la part de Ford.

Au cinéma, comme ailleurs je pense, la force et la beauté d’un plan réside moins dans ce qu’il nous montre mais dans ce qu’il annonce.
Lorsque Martha Edwards (Dorothy Jordan) nous est enfin montrée de face, après que nous l’avons presque poussée dehors, mue qu’elle était par sa curiosité à laquelle nous étions substituée par l’usage d’un plan en caméra semi-subjective qui est une pure merveille (un peu compliquée ma phrase...).
Nous voici rendus ici :

Une merveille en annonçait bien une autre…
Que de lumière. Une main qui hésite à se placer au dessus des yeux tant ce visage semble n’avoir pas vu le soleil depuis longtemps. Il ne s’est pas déroulé deux minutes, nous n’avons vu qu’un personnage, un autre est en train d’approcher et nous savons déjà que nous allons avoir droit à un moment westernien exceptionnel.
L’arrivée des autres membres de la famille va se faire de façon très lente et très théâtrale et manifestement dirigée en main de maître par Ford. Chacun prenant place dans le champ de façon à occuper toute la terrasse ; c’est un positionnement qui n’est pas sans similitudes avec celui qu’utilisera Leone pour les hommes de mains de Franck qui viennent (eux aussi, mais d’une autre façon) accueillir l’Harmonica dans « Il était une fois dans l’ouest ».
Une autre similitude est également notoire avec les perdrix qui s'envolent juste avant le raid indien, une scène tout à fait reprise lorsque Franck et ses hommes approchent de la ferme deBrett McBain.

Le fait que ce soit Martha qui la première pressente l’arrivée d’Ethan (« pressente » car il est plutôt suggéré qu’elle ne l’a pas vu mais bien deviné au moment où elle sort de sa maison) est important je pense. Il est important car dès les premières secondes, un personnage féminin teinte la narration. Plus exactement, c’est l’attente d’une femme qui nous est montrée. Ce n’est pas anodin eu égard au propos du film. Il est jalonné par l’attente de femmes. Bien entendu et en premier lieu celle de Debbie Edwards (la superbe Natalie Wood) mais également par celle de Laurie Jorgensen (la sémillante Vera Miles) qui, lasse d’attendre, s’apprêtera à se marier avec Charlie.
Nul doute que si c’était un homme qui nous avait été montré s’avançant dans cette introduction il y aurait eu quelque chose de moins, nous n’aurions tout simplement pas démarré sur la même clef.
Martha, ne se retournera pas, elle reculera pour précéder le plus respectueusement qui soit Ethan au moment d’entrer dans la maison. Ce choix de la faire reculer, outre l’importance donnée à l’accueil d’Ethan, maintient son personnage dans la lumière du jour. Nous l’avons suivie lorsqu’elle se dirigeait vers l’extérieur et ensuite, son visage ne nous est plus caché de toute la séquence.

Son visage et son être sont passés de l’ombre et de la crainte à la lumière et au ravissement. Une attente vient de se terminer et cette façon de filmer les personnages (Martha notamment) nous permet d’envisager quelle importance a ce retour et subséquemment quelle fut la pesanteur de l’attente.
Le ton pour la suite est donné, Debbie nous sera cachée durant une heure de film (la durée qui s'écoule entre sa disparition enfant et le moment où nous la revoyons dans la tente de Scar ; et nous pourrions même dire qu'elle ne réapparaît pas pendant 1h30 tant jusqu'à la fin, nous ne savons pas si elle ne va pas choisir de rester chez les indiens ou de se faire tuer), et pour autant, nous, spectateurs, ne pourrons pas l’oublier.
Cette séquence de début sert à pincer la corde d’un ressenti qui vibrera jusqu’à ce qu’Ethan et son frère Martin la retrouvent et la ramènent.
Du bien beau cinéma M. Ford !
Yo.