Je ne sais si c'est à cela que Musselshell pense, fait allusion, mais, quand il a dit Baudelaire, j'ai pensé à l'expo Catlin. Plutôt que d'aller rechercher le texte dans mes bouquins (mais dans lequel ... ?!) J'ai tapé Baudelaire + Catlin sur cette machine, et voilà quelques trouvailles, ci-dessous ; pour le reste, Mussel. dira si c'est à cela qu'il pensait.
Baudelaire, pour ne citer que lui, salue, contre une critique artistique chagrine, la force esthétique des œuvres de ce « cornac des sauvages ». Fasciné par les portraits de Petit Loup et de Graisse du dos de buffle, il écrit : « M.Catlin a supérieurement rendu le caractère fier et libre, et l’expression noble de ces braves gens ; la construction de leur tête est parfaitement bien comprise. Par leurs belles attitudes et l’aisance de leurs mouvements, ces sauvages font comprendre la sculpture antique. Quant à la couleur, elle a quelque chose de mystérieux qui me plaît plus que je ne saurais dire. Le rouge, la couleur du sang, la couleur de la vie, abondait tellement dans ce sombre musée, que c’était une ivresse ; quant aux paysages – montagnes boisées, savanes immenses, rivières désertes – ils étaient monotonement, éternellement verts ; le rouge, cette couleur si obscure, si épaisse, plus difficile à pénétrer que les yeux d’un serpent, le vert, cette couleur calme et gaie et souriante de la nature, je les retrouve chantant leur antithèse mélodique jusque sur le visage de ces deux héros. » (Salon de 1846, second volume, 1846).
http://gradhiva.revues.org/194"Le second chroniqueur, Baudelaire, va plus loin puisqu’il inscrit Catlin dans le ciel de ses modèles, le situant au cœur de l’esthétique qu’il est en train d’inventer. Comme cette présence n’a guère été prise au mot, y compris par la plupart des spécialistes, arrêtons-nous sur cette traduction, la plus profonde et la plus durable, de l’effet Catlin. « Il y a, commence-t-il, au Salon deux curiosités assez importantes ; ce sont les portraits de Petit-Loup et de Graisse-du-dos-de-buffle, peints par Mr Catlin, le cornac des sauvages. » Début assez plat, trompeur, qui ne promet rien qui se distingue des rares critiques bienveillantes mais convenues que nous avons lues plus haut. Et puis le ton change : tout le monde, sauf Champfleury bien sûr, s’est trompé sur ce peintre : « […] le bruit se répandit que c’était un brave homme qui ne savait ni peindre ni dessiner, et que s’il avait fait quelques ébauches passables, c’était grâce à son courage et à sa patience. » L’académisme rend aveugle les amateurs, mais son inversion systématique chez les tenants de l’« art naïf », telle George Sand, ne rend guère plus lucide ; en fait, selon Baudelaire, « Mr Catlin sait fort bien peindre et fort bien dessiner ». S’affirme ici la souveraineté absolue de l’artiste qui reconnaît l’art où personne ne le saisit, dans ce qui lui est intrinsèquement « autre », selon les canons d’une civilisation et d’une époque. Donc ces portraits sont beaux : « Mr Catlin a supérieurement rendu le caractère fier et libre, et l’expression noble de ces braves gens ; la construction de leur tête est parfaitement bien comprise. Par leurs belles attitudes et l’aisance de leurs mouvements, ces sauvages font comprendre la sculpture antique. »
Ici, insensiblement, un glissement s’opère. Baudelaire ne parle plus seulement des deux portraits qu’il voit au Salon, les figures s’animent, les corps se déplacent, la peinture présente est comme éveillée par le souvenir de ses sujets vivants et, bientôt, du musée complet où elle lui apparut pour la première fois. C’est au nom de cette expérience qu’il va définir la modernité de Catlin, modernité esthétique qui interroge les conventions de la représentation et invite l’artiste à penser les sources de tout art. Ainsi le terme « sauvagerie », que Champ¬fleury utilisait dans un sens positif, apparaît trop simplificateur et risque de faire passer l’étrangeté culturelle des Indiens pour la clé du choc que le musée propage. Les Indiens de Catlin ne sont, pour Baudelaire, que de « braves gens », en revanche leur double présence, comme êtres et comme images, fait remonter vers l’amont de toute création plastique. Au primitif de Gautier et Sand, au primordial de Nerval, Baudelaire oppose l’essentiel, les principes de toute représentation qui fondent l’art à l’état pur, comme un autre monde sensible25. Seul ce privilège, accordé à très peu d’artistes, rend compte de la persistance de cette référence tout au long de sa réflexion esthétique : le Salon de 1846 est la première grande œuvre de Baudelaire, le Salon de 1859 témoigne de sa dernière saison créatrice. Catlin est très présent dans l’un et l’autre, et il convient de les traiter ensemble en retenant que, sur la voie d’une élucidation des principes, le Musée indien va nourrir la pensée du poète sur deux registres principaux : celui de la sculpture comme art originel et celui de la couleur comme matière dynamique de toute figuration picturale.
En 1846, Baudelaire découvre l’archaïsme de la sculpture et l’unité profonde de cet art : « L’origine de la sculpture se perd dans la nuit des temps ; c’est donc un art de Caraïbes. En effet, nous voyons tous les peuples tailler fort adroitement des fétiches avant d’aborder la peinture […]27. » Parce qu’elle est liée à ce faire originel, une fois « sortie de l’époque sauvage, la sculpture, dans son plus magnifique développement, n’est autre chose qu’un art complémentaire », mais restituée dans ses conditions premières, elle permet de penser les opérations mentales qui président à la peinture, « art de raisonnement profond, et dont la jouissance même demande une initiation particulière ». En effet, « le paysan, le sauvage, l’homme primitif », vierges de tout dressage artistique, se « réjouissent à la vue d’un morceau de bois ou de pierre industrieusement tourné [mais] restent stupides à l’aspect de la plus belle peinture ». Loin de laisser le spectateur libre de tourner autour et de le saisir, comme « l’objet naturel lui-même, environné d’atmosphère », selon une multiplicité de points de vue, « un tableau n’est que ce qu’il veut ; il n’y a pas moyen de le regarder autrement que dans son jour. La peinture n’a qu’un point de vue ; elle est exclusive et despotique ». Or, Catlin a rencontré, au cours de son périple, la résistance des Indiens à ce despotisme du peintre ; il racontait cette anecdote dans son ¬commentaire oral du musée, Gautier la mentionne en deux lignes, George Sand la développe longuement et Baudelaire ne l’a pas oubliée : « On se souvient que Catlin faillit être mêlé à une querelle fort dangereuse entre des chefs sauvages, ceux-ci plaisantant celui-là dont il avait peint le portrait de profil, et lui reprochant de s’être laissé voler la moitié de son visage. » Pour Baudelaire, le Musée Catlin réalise sans y prétendre une sorte d’expérience ; il conduit son visiteur de l’âge de la sculpture, « qui s’enfonce dans les ténèbres du temps, et qui, déjà dans les âges primitifs, produisait des œuvres dont s’étonne l’esprit civilisé » à l’âge de la peinture qui est, décidément, cosa mentale. Les décors et les dessins indiens qui attirèrent si fort la curiosité de George Sand ne sont donc, pour lui, qu’une sorte d’écriture ou, comme le démontrent les corps historiés des danseurs, une façon de colorer l’objet qui demeure et se meut dans un espace réel. Devant le public où il prit ses modèles et devant celui qui vient à son Musée, Catlin réalise l’opération intellectuelle, le « raisonnement profond » de Baudelaire, qui transpose les sujets peints dans un espace à deux dimensions, et il aime se mettre en scène dans cette attitude du peintre confronté aux Indiens qui découvrent, admiratifs ou irrités, cette nouvelle ère de la figuration28.
S’agissant de la couleur, la place de Catlin est plus décisive encore et le commentaire de Baudelaire s’appuie, explicitement, sur sa première perception du Musée indien. Devant les portraits de Petit-Loup et de Graisse-du-dos-de-buffle, remontent aussitôt à sa « mémoire » la transparence et la légèreté des ciels, la violence du rouge, la paix du vert qu’il « retrouve chantant leur antithèse mélodique sur le visage de ces deux héros » dont les « tatouages et coloriages étaient faits selon les gammes naturelles et harmoniques » (II : 446). Les deux petits tableaux restituent donc l’impression immédiate du visiteur de « ce sombre musée » et nous renvoient à la forme d’exposition que pratiquait Catlin et à laquelle nul n’avait jusqu’alors rendu justice. En effet, Gautier et George Sand avaient choisi la fiction du voyage pour faire entrer l’énorme masse des objets offerts à la vue dans une narration, une suite de séquences. En romanciers, ils avaient déroulé un ordre linéaire, celui du récit d’aventures avec ses péripéties, ses surprises, ses découvertes, Gautier racontant la suite des tableaux, George Sand y ajoutant son tour dans les coulisses. Ce faisant, ils méconnaissaient l’effet que recherchait Catlin.
Et
http://www.histoire-image.org/pleincadr ... .php?i=971
Je suis un vieux Peau-Rouge solitaire qui ne marchera jamais en file indienne.
- You've seen too many westerns, old man.
- That doesn't exactly work in your favor.