CAPITAINES DE L'IMPOSSIBLE
CHAPITRE XVI
RETOUR À SAINT-LOUIS
Deux jours seulement après avoir effectué leur jonction, Lewis et Clark arrivèrent au village mandan du chef Chat Noir et envoyèrent Charbonneau convier les chefs minnetarees à venir les rencontrer, espérant les convaincre, comme les chefs mandans, de les accompagner à Washington.
Les Minnetarees arrivèrent le lendemain, mais se montrèrent tout aussi réticents que leurs voisins à descendre le fleuve, étant persuadés que les Sioux les tueraient lorsqu'ils traverseraient leur territoire. Finalement, après deux jours de négociations, le chef Sheheke accepta d’accompagner la troupe avec sa femme et son fils.
Les capitaines, même s'ils refusaient de céder à un trop grand optimisme, savaient que leur mission était presque terminée.
Aussi, lorsque le 16 août John Colter vint leur demander la permission de quitter l'expédition pour rattraper Dickon et Hancock et se joindre à eux pour la saison de chasse, ils acceptèrent, à la condition qu'il n'y ait pas d'autre départ avant Saint-Louis. Les autres engagés donnèrent leur parole et Colter prit direction de l’Ouest.
Lorsqu'ils repartirent le lendemain, les capitaines laissèrent derrière eux trois autres membres de l'expédition : Charbonneau, Sacajawea et le petit Pomp. Le Français préférait rester chez les Minnetarees pour passer l'hiver avec eux plutôt que de regagner Saint-Louis. Clark, qui s'était beaucoup attaché à la mère et à l'enfant, en conçut un grand regret, mais il ne parvint pas à faire changer d'avis le trappeur.
Le 21 août, ils croisèrent trois marchands français qui leur apprirent de funestes nouvelles : sept cents Sioux peints en guerre se dirigeaient vers le territoire des Mandans et des Hidatsas pour les attaquer et seuls les Arikaras désiraient rester en dehors du conflit. Ils attendaient le retour de leur chef parti à Washington. Malheureusement, ce dernier ne pourrait jamais revenir car il était mort en route. Par chance pour les capitaines, la nouvelle n'était pas encore parvenue aux villages arikaras.
Après avoir pris congé des trafiquants, ils accostèrent près d'un village où un chef cheyenne campait avec sa bande. Ils lui firent cadeau d'une médaille et fumèrent avec lui. Cependant, malgré tous leurs efforts, il refusa de les accompagner dans l'Est, trouvant leur « médecine » trop puissante. Ils s'entretinrent ensuite avec le chef arikara Yeux Gris, mais lui aussi refusa de venir avec eux.
Ils repartirent le 23 août à l'aube. Trois jours plus tard, ils dépassèrent l'embouchure de la rivière Teton. Passé ce point, ils se trouvaient en territoire sioux, aussi se tinrent-ils sur leurs gardes.
Pendant quatre jours, ils avancèrent sans voir aucun signe des Indiens, puis, soudain, le 30 août, vingt cavaliers apparurent au sommet d'une colline. Quelques instants plus tard, quatre-vingt-dix guerriers en armes sortirent d'un bois sur la rive opposée, conduits par le chef Bison Noir.
Ces Sioux étaient sans doute les mêmes que ceux contre qui ils avaient failli se battre deux ans plus tôt.
Durant toute la journée et le début de la soirée, les guerriers les provoquèrent de façon plus ou moins ouverte, les invitant à venir se battre, mais les capitaines poursuivirent leur route. Le lendemain, ils avaient quitté le territoire des Tetons, et deux jours plus tard, celui des Yanktons.
L'épreuve des Sioux passée, plus rien ne pouvait les arrêter jusqu'à Saint-Louis. Le 4 septembre, ils dépassèrent l'embouchure de la Sioux River, le 6, Pelican Island et le 8, Council Bluffs. Le 9 septembre, après qu'ils eurent franchi l'embouchure de la Platte River, le courant se fit plus rapide.
Durant les deux semaines qui suivirent, il ne se passa pas un jour sans qu'ils ne croisassent un marchand ou un trappeur en route vers l'ouest. Bientôt, ils purent camper près d'établissement civilisés. Tous ceux qu'ils rencontraient étaient si heureux de leur retour qu'on ne cessait de faire passer la cruche à la ronde pour fêter l'événement.
Enfin, le 23 septembre, après avoir été retardés quelques jours par le mauvais temps, ils arrivèrent en vue de Saint-Louis.
Les hommes saluèrent la ville par une salve, avant d'être accueillis triomphalement par les habitants.
Le jour même de leur retour à Saint-Louis, les capitaines s'installèrent chez Pierre Chouteau, qui leur avait fourni un entrepôt pour leurs bagages et les avait cordialement invités à loger chez lui, et commencèrent à rédiger leur rapport préliminaire.
Leur mission était accomplie.
Ils avaient affirmé la souveraineté des États-Unis sur ses nouveaux territoires, porté le message de paix de Jefferson à plus de cinquante tribus indiennes, découvert des centaines de cours d'eau et autant d'espèces animales et végétales.
Chaque membre de l'expédition, engagé ou volontaire, avait montré le meilleur de lui-même, face aux éléments déchaînés, à la nature sauvage et aux Indiens hostiles.
Mais ils n'avaient pu trouver le légendaire Passage du Nord-Ouest qui aurait permis de relier l'Atlantique au Pacifique, car un tel passage n'existait pas sous ces latitudes.
Ils n'étaient pas non plus parvenus à n'avoir avec les Indiens que des relations pacifiques.
En laissant au cou du chef pied-noir abattu la médaille qu'ils lui avaient donnée, ils avaient désigné tous les trappeurs américains comme des ennemis potentiels, non seulement pour les Pieds-Noirs, mais aussi pour les Corbeaux, les Shoshones et toutes les tribus qui risquaient de voir leur mode de vie bouleversé par l'arrivée de ces nouveaux venus qui allaient changer l'ordre économique de l'Ouest.
Dickson, Hancock et Colter n'étaient que les premiers.
L'expédition de Lewis et Clark, si elle n'avait pas donné vie au rêve de Jefferson – une voie navigable traversant d'un océan à l'autre les terres de milliers d'Indiens pacifiques ou pacifiés sans violence – était cependant un immense succès.
Ce formidable exploit humain avait ouvert aux générations à venir la voie vers un vaste pays aux richesses infinies et avait forgé un esprit qui allait être la force vive de toute une nation durant un siècle, mais qui allait également conduire à l'anéantissement presque total d'un peuple entier.
Le temps de l'exploit était passé.
À présent venait celui de la conquête.