pak a écrit :
Peut-être faut-il arrêter le support physique pour réduire les coûts de possession d'un film qui se ferait virtuellement ? Mais est-ce que cela baisserait le prix d'achat d'un film ?
Le problème qu'on n'évoque pas mais qui est sous-entendu dans l'appel des éditeurs, c'est la sauvegarde des emplois. Il est bien évident que la chute des ventes, ou pire l'arrêt du support physique mettrait à mal toute une filière et laisserait sur le carreau pas mal de monde.
Deux questions essentielles, en effet.
Avant tout, Pak, tous les arguments que tu cites me semblent très à propos (le prix d'une image pour illustrer une photo, par exemple). Sur le piratage, je pense que son ampleur et son impact sont quand même bien plus importants que ce qu'ils étaient du temps de la VHS, avec une impunité toujours aussi grande. Mais ce n'est pas le propos ici.
Ce qui me gêne dans cet appel, c'est toute l'argumentation culturelle, et la référence à la filière livre, sachant que l'aide à cette dernière profite à tous les acteurs, sauf aux auteurs et aux illustrateurs, qui continuent à crever à petit feu.
Le texte de Bertrand Tavernier n'a pour moi rien à faire là et vient affaiblir le propos. J'ai le sentiment d'un texte élitiste, et je vois une certaine coupure avec la réalité actuelle du pays.
Certes, un film "populaire" comme un Marvel fait sans doute plus recette que toutes les sorties Sidonis d'une année, mais il se vend moins cher, ce qui le rend plus accessible autant d'un point de vue financier que culturel. S'il faut demander quelque chose à l'Etat, c'est d'exiger des chaînes publiques de retrouver leur rôle de transmission du patrimoine, leur imposer une programmation qui aille dans ce sens, les forcer à se démarquer du reste du marigot commercial qu'est devenu la télévision (que je n'ai plus, mais c'est mon ressenti). Je suis d'une génération qui a fait sa "culture" cinématographique pour pas un sou (hors redevance), grâce aux trois chaînes d'alors dont l'offre permettait de découvrir des films de patrimoine autant en journée qu'en soirée, et pas uniquement dans le cadre du Ciné-Club ou du Cinéma de minuit. Pour arriver à la même absorption de films de qualité aujourd'hui, il faut en passer par la vidéo, ou avoir un panel d'abonnements qui représente une somme mensuelle importante. Dans un cas comme dans l'autre, tous ne peuvent pas se le permettre. Donc, attention à l'élitisme.
Pour en revenir à la réalité du pays, je pense que de nombreux secteurs sont bien plus en détresse que les éditeurs vidéo à la suite du confinement, surtout certains des signataires, qui sont également laboratoire, par exemple, et dont le planning est si plein que chaque demande de sous-titrage est toujours pour la veille... Ou encore de grosses machines comme StudioCanal ou Metropolitan/Seven 7.
Quand les salles de cinéma sont passées au tout numérique, beaucoup de laboratoires de tirage et de sous-titrage laser ont frôlé l'accident industriel fatal. Ils ne sont pas allés demander d'aide. Ils ont encaissé des pertes d'activité de millions d'euros, et se sont, en effet, réinventés. Quant aux spectateurs, ils se sont félicités d'avoir une qualité optimale, sans se soucier des conséquences économiques.
Sans être chef d'entreprise, je dois, en tant qu'indépendant, gérer mon activité en fonction d'une certaine irrégularité, et j'ai toujours provisionné de la trésorerie pour faire face au type d'imprévu que nous venons de connaître. Je ne suis pas certain, dans le système économique actuel, que ce soit forcément la politique de tous les éditeurs. Money, money, money...
Pour ce qui est de la culture, ce mélange incessant entre cette dernière et le business me gêne un peu. Beaucoup ici, comme toi, Pak, œuvrent pour la culture, à leur échelle, et sans en tirer d'autre rétribution que la satisfaction du travail de recherche accompli. Il va de soi que les éditeurs ne peuvent pas en faire autant, mais en revanche, les ayants-droits pourraient amender leur politique (bien sûr, il nous manque toujours l'information des droits d'acquisition, et nous ne l'auront pas, ce qui est bien dommage.)
Le système, en un mot, c'est un minimum garanti (somme payée à l'acquisition des droits, parfois avec des échéances, non remboursable) et des royalties une fois ce montant recoupé. Pour tous ces films de patrimoine, qui appartiennent souvent à des majors ou des sociétés importantes, ne pourrait-on pas avoir un système sans minimum garanti, ou avec un minimum garanti très réduit, et uniquement des royalties, pour minimiser le risque pour l'éditeur ? Les ayants-droits ne sont-ils pas trop gourmands ? D'autant qu'on parle là de films qui ont été amortis depuis des décennies. Chaque nouvelle cession, c'est du bénéfice quasiment net. Cet appel devrait aussi s'adresser à eux, pas uniquement à l'Etat, et aux contribuables, merci pour eux.
L. parlait d'éditeurs faisant des sorties confidentielles prévendues, pourquoi ne pas imaginer, comme cela se fait déjà à l'occasion sur de gros projets, le développement d'un système de souscription, de financement participatif, pour limiter le risque pour les éditeurs.
Personnellement, je consomme assez peu de DVD (quoique je mette tout de même dans le support plusieurs centaines d'euros par an, et que sur mes étagères on doit en trouver par loin de 2000) mais en revanche, j'essaie à mon niveau, en tant que traducteur, de participer à l'effort culturel. J'applique des tarifs pour les festivals que beaucoup refusent, pour soutenir le court-métrage, par exemple, et quand j'apprécie le travail d'un éditeur, je lui propose mes services à des prix très raisonnables. Tu parlais des intermédiaires à propos du prix de vente des DVD, et malheureusement, il y a des intermédiaires aussi dans la production de ces derniers. Ceux qui sont en bout de chaîne sont souvent des variables d'ajustement qui permettent aux autres de préserver leur marge. Dommage, encore une fois, que sur ce point, il règne une telle opacité.
Autre point que me semble intéressant dans ce débat, au vu des coûts constatés hier, c'est le prix que nous sommes prêts à payer pour un DVD ou un BR, et plus précisément pour un film. Si le prix de 15 € pour un petit western peut sembler démesuré (certaines sorties Sidonis rentrent pour moi dans cette catégorie, sans malice ni animosité, mais on est dans du film pour fan absolu du genre, plus dans la transmission du patrimoine), si ce prix de 15 €, donc, me semble élevé, j'ai le sentiment qu'il n'est pas forcément si injustifié en termes de coûts. Quoi que l'on puisse s'interroger sur le prix de cet unique film et celui d'un coffret d'une quinzaine d'épisodes d'une demi-intégrale de série, vendu seulement le double, pour des coûts largement supérieurs. 30 € pour 15 épisodes, 750 minutes de programme, 5 DVD, contre 15 € pour un film, 80 minutes, un DVD.
Doit-on penser que certains éditeurs se ménagent une marge plus importante que d'autres ? Je n'en sais rien, je pose la question.
Je me pose une autre question : n'avons-nous pas pris la mauvaise habitude de vouloir avoir toujours plus et toujours mieux pour moins cher ? Savons-nous encore payer les choses à leur juste prix ? Cela va bien au-delà du cadre des produits culturels. Encore une fois, ne sommes-nous pas devenu des enfants gâtés, un peu coupés des réalités ? On aurait pu espérer que l'électrochoc que nous venons de subir changerait les choses, il est clair à présent qu'il n'en sera rien, bien au contraire - c'est en tout cas mon sentiment.
Je ne nie pas le problème rencontré par les éditeurs, je crois juste qu'ils ne sont qu'un secteur parmi mille qui se trouvent aujourd'hui devant la nécessité de se réinventer pour survivre. Je suis tout l'inverse d'un ultra-libéral, mais cette façon de demander toujours des subsides de l'Etat me gêne. Notre dette étant déjà de 2,5 milliards d'euros, cela me paraît parfois indécent. Surtout, encore une fois, avec la culture comme paravent. Si c'est économique, il me semble que cet appel aurait dû être tourné autrement.
Après, c'est un choix.
Courir partout pour demander de l'aide comme Gary Cooper dans
High Noon ou la refuser en considérant que l'on doit s'en sortir seul comme John Wayne dans
Rio Bravo, telle est la question.
"Créer une œuvre, même imparfaite, demandera toujours plus de talent et d'effort que de la critiquer."