Effectivement Garrett n'est pas détestable. Ne serait-ce que pour une raison simple: il n'est pas peint comme tel. Garrett est inadapté aux temps qui s'ouvrent, comme Billy...il s'adaptera en tuant une part de lui même (le tir dans son reflet dans le miroir après qu'il ait abattu Billy), ce qui le condamne à jamais, de lui à lui, et tout prosaïquement comme on le voit en ouverture et fermeture du film...Le chrétien..ah le chrétien, il a un peu le même statut, chez Peckinpah, que l'intellectuel: dans le pire des cas il castre consciemment la nature et la liberté, dans le meilleur provoque par niaiserie et/ou idéalisme (ou incompétence) les catastrophes qu'il voulait éluder (Strawdogs condense assez bien tout çà). Ceci dit, la mort de Billy les bras en croix est presque littéralement christique. Peckinpah joue très bien avec çà...Knulp a écrit :Peckinpah a-t-il lu Nietzsche?
je prends la parole au passage pour parler d'un troisième personnage (nullement secondaire je crois) qui, pour moi, est l'occasion d'entrer différemment dans le film. Il s'agit de l'adjoint (détestable) que l'on impose à Pat (je sais plus comment il s'appelle, c'est celui qui est très propre sur lui avec une belle moustache). Je le trouve extraordinairement bien pensé. Au point qu'il me paraît correspondre exactement à l'homme "faible" ou l'homme du "ressentiment" de Nietzsche (oui, je sais, c'est rapprochement un peu prétentieux).
Il incarne l'impuissant par excellence qui est fasciné par Pat et par le Kid; cette fascination se transforme en haine: le ressentiment du faible. Je cite Nietzsche (Généalogie de la morale, premier traité, $10):
Paradoxalement, l'homme du ressentiment est créateur de nouvelles valeurs par négation de la vie.Alors que toute morale noble procède d'un dire-oui triomphant à soi-même, la morale des esclaves dit non d'emblée à un "extérieur", à un "autrement", à un "non-soi"; et c'est ce non-là qui est son acte créateur. Ce retourenement du regard évaluateur, cette nécessité pour lui de se diriger vers l'extérieur au lieu de revenir su soi appartient en propre au ressentiment
Et en effet, le kid exprime bien se dire-oui à la vie telle qu'elle est, il n'est jamais dans la haine, dans le ressentiment. C'est cela que le personnage dont je parle doit supprimer pour créer de nouvelles valeurs; mais il ne peut le faire lui-même! il ne peut que s'en prendre qu'à deux vieux alcoolisés. Cet adjoint, visuellement, rend bien compte de la force du faible: il est de belle apparence, il semble fort physiquement.
Donc, un peu par provocation, je dirais que c'est ce troisième personnage, présent dans l'ombre, qui en réalité est au centre du film. Il est juste entre Pat et Billy.
Autre provocation: je ne trouve pas que Pat soit un personnage détestable. Qui peut vraiment le haïr en voyant le film? Étrangement, on ne parvient pas à le détester. Par contre le personnage dont j'ai parlé mérite notre mépris. Pat Garrett est-il alors une sorte de victime de la manipulation du faible? Pat est alors l'outil le plus solide pour que s'impose le volonté de puissance de l'homme qui dit non à la vie.
Si nous avons dans le forum un bon connaisseur de Nietzsche et de Pechkinpah (une telle personne existe-t-elle seulement?), qu'il précise le rapprochement. Car il faudrait aussi parler de la façon dont l'auteur fait du chrétien l'homme le pire de tous! (cf la scène où Billy est dans les fers).
Nietzsche et son homme du ressentiment...pourquoi pas. Le rapprochement est possible, ne serait-ce que parce que ce profil est vieux comme le monde, antérieur à Nietzsche d'ailleurs, puisque aussi vieux que la tragédie...mais il est vrai que la façon dont le philosophe a su réinvestir cette dernière peut permettre de tracer un parallèle avec le tragique selon Peckinpah. Chez l'un comme chez l'autre, l'homme libre est seul. Et...c'est jusqu'à l'appréciation du religieux (du croyant béat, la question de Dieu, c'est autre chose) qui peut justifier le parallèle!
Maintenant...est-ce que Peckinpah a lu Also Sprach Zarathustra (ou autre)?
That is the question.