Messagepar gilson » 05 août 2011 18:12
C’est bizarre, une discussion sur un forum : ça tarit puis ça meurt, difficile de savoir pourquoi.
Impossible à faire renaître ; je voudrais seulement rendre un tout modeste hommage à un de mes films préférés.
Sur « Warlock », la discussion, très souvent passionnante, avec des formules parfois parfaitement frappées s’est peut-être enlisée (sur l’homosexualité, surtout ; je ne sais même pas si cela mérite une parenthèse :1) le western est sans doute, à l’époque, le genre le plus saugrenu pour y placer ce souci-là 2) la relation entre Blaisedell et Morgan cesse d’être intéressante si on soupçonne quelque chose de ce genre 3) ces personnages deviennent ridicules ou grotesques si on va dans cette direction, alors qu’ils sont tout sauf cela), s’est peut-être, donc, enlisée un peu vite. Dommage : on y trouvait de très bonnes choses. Je ne prétends à rien : juste quelques petits cailloux, puisque le sujet n’est pas verrouillé.
1) Le film est un des préférés des amateurs. Simple question : pourquoi ? Je donne ma réponse, pas forcément la plus attendue : c’est le western de l’élégance. Dans l’entretien figurant sur le DVD, TAVERNIER parle de western « urbain ». Blaisedell et Morgan vont de ville en ville, ce sont des citadins distingués, malgré le pied-bot de Morgan, qui apportent ordre mais aussi perversions urbains (impossible de séparer l’un de l’autre : « Je suis responsable de lui, il est responsable de moi ». Et la mort de l’un est aussi celle de l’autre.). Dans un genre où on est souvent dans la poussière et la boue (poussière dont sont recouverts les deux compagnons en arrivant à Warlock à cause du voyage mais dont ils se débarrassent définitivement), ils sont un point d’accrochage pour le spectateur, urbain lui aussi où qu’il soit, aujourd’hui ou à la sortie du film. A sa façon, le comportement de Morgan est suprêmement élégant : il se laisse tuer, parce que cette humiliation (la huée de la foule) est trop forte pour son sens du départ en beauté, et surtout pour que son ami soit beau comme dans la légende qui commence à courir à son propos (on écrit déjà des livres sur lui). D’ailleurs, en même temps qu’elle est monstrueuse, dévorante et à sens un peu unique, notons-le*, cette amitié, dans son absolu, a pas mal de ressemblances avec celle des « deux amis » de LA FONTAINE ou celle, encore plus connue, du vieux maire de Bordeaux avec l’auteur de « La Servitude Volontaire ». Toutes relations d’une intensité hors du commun. Dévouement et élégance suprêmes, sublimes, que Blaisedell tente d’égaler un peu avec le sacrifice du feu**, à la fin, et, négativement, avec l’acte le plus dénué d’élégance qu’on puisse imaginer : le coup de pied dans la béquille du vieux juge. Mais c’est surtout le comportement de Blaisedell, bien sûr, qui est en cause : démarche d’échassier précieux, dignité, calme, sang-froid. Mussel parlait de chorégraphie à propos de FORD : ici, les fois où Blaisedell se sert de son arme sont tout sauf de la simple fonctionnalité : presque de l’art : monstration de virtuosité (« duel » avec Curly), d’efficacité (entrainement), d’humanisme même dans le moment crucial (son « Billy, Billy » et sa maîtrise suprême quand il doit se débarrasser du frère de Gannon), l’autre faux duel avec le marshal Gannon à la fin. On atteint à un sommet, ici. Quand FONDA marche, danse, tire, on regarde et on admire. Juste une dernière comparaison : les membres du forum ne savent peut-être pas tous que … Bruce LEE, grand chorégraphe de ses combats, était aussi un excellent danseur. Pas étonnant, comme c’est souligné dans les échanges, que FONDA ait été pressenti pour les westerns européens, plus formalistes et moins « terriens ». J’arrête sur ce point. Je suis trop long
2) Plus brièvement : a) « Warlock » est un film où on va profondément dans les choses, les êtres. Le scénariste a dû aider DMYTRYK, TAVERNIER le souligne. Mais encore fallait-il suivre telle piste et non pas d’autres, un livre étant, j’ai l’impression, par principe, plus riche qu’un film en général. Qu’est-ce qu’une bande ? Quelque chose qui n’est pas du tout homogène (Curly, et, dès le début, Johnny Gannon), et DMYTYK explore ici un aspect peut-être moins mis en valeur par d’autres : comment ça se passe, chez les méchants ? Un beau méchant, comme disait HITCHCOCK ? Le film dit : une bande n’est pas une bande, c’est aussi une relation entre des individus, différents, chez lesquels Bien et Mal ne sont pas simples à pointer. Ce n’est pas une question de différence de psychologie : on a des bandes avec des bonshommes bien distincts, ayant chacun leur personnalité, PECKINPAH le montrera bien. Ici, c’est différent –et, dans les échanges, je me souviens d’un excellent message concernant Curly-. Relations Morgan/Blaisedell, labyrinthiques, je passe rapidement. Importance des femmes et complexité du personnage de Lily : consolation du guerrier (fin), ex-entraineuse, furie vouée à la vengeance, femme prête à tout, même à pardonner, par amour, à celui qu’elle poursuit, assez forte pour tenir tête à Morgan ; l’autre personnage féminin (le parallèle est souligné par DMYTRYK par le montage : les deux grandes séquences « avec femmes », si j’ose dire, se suivent. Pas si fréquent que, dans un western, les femmes aient un tel poids : n’oublions pas que c’est pour les beaux yeux de Jessie que Blaisedell s’oppose à Morgan), l’autre personnage féminin, donc, est un peu moins fouillé, mais quand même : du « très comme il faut » au début, à la femme amoureuse qui va trouver Blaisedell s’entraînant à tirer, le lui disant, lui faisant la cuisine, le tenant déjà presque au bout de la corde, ce n’est pas rien. Et regardez : les échanges parlaient de « High Noon ». Sauf erreur, il n’y a pas de personnage ressemblant à Blaisedell dans ce film (très vieux souvenir). Le serviteur de la justice n’a personne autour de lui (puis contre lui) qui ressemble à Blaisedell. Qu’est-ce que ce personnage : un double (de Morgan) et un remplaçant ? Les messages parlaient aussi de la place d’honneur dans le générique. On a là un curieux film où le « brillant » est laissé au personnage entre deux mondes (Blaisedell), ce que comprend parfaitement Morgan, alors que la figure de la vraie justice est bien plus terne, pas trop bien fagotée (même si WIDMARK change plusieurs fois de tenue ; rien à voir avec l’élégance de Blaisedell). Personnage principal ? De qui parlez-vous ? Qu’il était joli garçon, l’assassin de papa ! On sent bien, donc, dans ce film, que les assignations héros/pas héros, Bien /Mal, secondaire/principal, justice publique/privée, j’en oublie, sont malmenées, pour notre trouble et donc notre plaisir esthétique.
b) promis, je fais très court : rédemptions, à la pelle, dans le film. Je ne suis pas sûr que la rédemption soit un thème, à proprement parler ; je la verrais plutôt comme un commode mécanisme de récit, comme la « dialectique » ami/ennemi ou l’inverse, le schéma d’apprentissage, les péripéties de la conquête amoureuse, etc. Et puis, dans cet ordre d’idées (comment ça fonctionne), le film, dès le départ, marche à coup de fausses pistes (autre nom de la « complexité » ?) : problème : méchants ; solution : la loi ; puis Blaisedell ; puis Gannon. On doit retrouver le mécanisme à l’œuvre ailleurs. (par ex.: Blaisedell "adjuvant" de Gannon, puis "opposant", comme on dit dans les manuels de collège)
Excusez-moi : trop long. Mais quand on aime… Pas de réponse attendue. C’était juste un hommage, je le redis.
*Blaisedell a donné du respect à Morgan, quand Morgan lui sacrifie presque tout, quitte à l’instrumentaliser, n’oublions quand même pas, ce serait trop simple !!
**si je dis : mort de Patrocle, on va encore retomber dans l’ornière ; donc je ne dis rien, mais le bûcher est bien là, ou presque.
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gilson le 06 août 2011 18:51, modifié 3 fois.
"Words have too many shadows." (Little Dog, dans "La Plume Blanche"). Et j'ajoute: "Na!"