Messagepar gilson » 24 sept. 2011 20:30
Elizabeth TAYLOR : « Washington et Hollywood sont les plus grandes escroqueries de la planète.» Je ne sais pas pourquoi, cette phrase me reste en mémoire. Je rapproche cela de la consultation rapide d’un bouquin que j’ai gardé (à côté de tas d’autres dont je me suis débarrassé, faute de place), pour essayer d’y trouver des infos sur les saloons : « Histoire du Far West », de RIEUPEYROUT, auteur qui a bonne réputation chez les membres du forum (lu les messages le concernant). Je n’y ai revu que deux passages sur des légendes de l’Ouest : EARP et HICKOK. Pas gâtés, dites donc !! EARP sans doute complice du gang Clanton, et type aux activités très louches ; HICKOK guère mieux loti. Et « My Darling Clementine » à moi, qu’est-ce qu’elle devient ? Avec la phrase fameuse de TMWSLV, dont il ne faut pas oublier le début : « Dans l’Ouest, quand la légende, etc », on est vraiment dans le cadre des propos de la star aux yeux violets. D’ailleurs, c’est drôle : Ransom dit à Hallie, dernières images, qu’il veut quitter Washington pour revenir à Shinbone, lieu d’une vérité.
C’est comme dans TMWSLV, c’est ce que je fais !! Je reviens sur des lieux où il s’est passé plein de choses. 6 pages seulement, mais très denses. Exercice vain, de ma part, mais comme c’est un de mes films préférés, je ne résiste pas, en faisant le plus court possible, et en revenant sur deux ou trois points.
Le NB se recommande, me semble-t-il, quand on veut non pas raconter, mais DIRE. NB râpeux, loin de la beauté NB des « films noirs », avec des décors presque à la limite du schématisme, extrêmement frustes, en tout cas, avec des poses, des attitudes allant dans le même sens (celle de Valance, de Doniphon, celle de Stoddard). Dire quoi ? Qu’il y a non pas une mais DES lectures. Pas une mais des vérités. Et la vérité n’a pas besoin de couleurs. Mieux, si la dire suffit, il n’est pas vraiment utile de la mettre en scène, sinon dans une sorte de non mise en scène* (à la fin, la vérité dite par Doniphon à Stodard sur sa non-responsabilité se traduit par une représentation criante de non réalisme, dans « son » flashback, lorsqu’il arme le fusil lancé par Pompey, et qu’on sent bien que LV DOIT le voir). Les vérités sont abruptes, au point que le journaliste refuse celle de Stoddard, à la fin. Pourquoi les montrer sous de séduisantes couleurs ? Le film fait la paire, avec « les Cheyennes** », quant à l’austérité : FORD y règle des comptes avec lui-même et l’image que son œuvre a donnée d’une réalité disparue. (Resterait à savoir, si je ne dis pas une bêtise, pourquoi « Cheyenne Autumn » est en couleurs. Mais on doit pouvoir trouver des raisons).
Pourquoi Liberty ? J’ai une réponse très simple. Il suffit d’écouter. Dans « Warlock », on entend Billy, le frère de Gannon, reprocher à Blaisedell d’être quelqu’un qui s’oppose à la liberté. On a tort de voir les méchants comme des négatifs de gentils et comme des gens honteux d’être ce qu’ils sont. Ils sont certains de valoir autant et d’avoir raison comme eux. Une scène exemplaire et comique, dans TMWSLV : à la fin, les deux acolytes (eh, vous êtes comme moi ? Quand j’étais petit, dans les BD, je lisais « alycotes », ça sonnait mieux), les deux acolytes, donc, de LV proposent … un bon petit lynchage de Stoddard, retournant entièrement la loi à leur profit. Il me semble que c’est la chanson de tous ces gens-là. Parfaite bonne conscience ; parfaite « assurance » serait peut-être plus juste. Les hommes libres, c’est eux. Et tout un cinéma, après FORD, est allé dans cette direction, alors que FORD les montre presque comme des détritus à faire disparaître.
TMSLV est le film des illusions perdues. Pour les personnages et pour le spectateur. Et ce n’est pas drôle du tout, même si les passages comiques ne manquent pas, dans le film. FORD dit tout clairement, noir sur blanc, si j’ose l’expression : Peabody compare ironiquement le shérif (ou marshal) à Buffalo Bill, avant d’entrer dans la cantina, alors que celui-ci vient de matamoriser une fois encore (il le refera à la fin, lors de l’expulsion des deux aly…pardon : acolytes du saloon, par Doniphon). Variation grotesque sur le thème principal. Quelles illusions, plus précisément ? Il y a plusieurs coups d’oeil à la chevalerie dans le film, et l’aspect dégingandé de J STEWART n’est pas sans rappeler Don Quichotte : presque décharné lors du duel avec LV, quand il ramasse son pistolet (c’est Jean Louis, je crois, qui parlait de chevalier blanc), bardé de bouquins ; la rose (cf l’opéra de STRAUSS) et le cactus, la conduite chevaleresque de Stoddard lors de l’attaque de la diligence, etc, tout cela converge. Illusion à la Don Quichotte, donc : illusion qu’on est à sa place dans son temps (ni Doniphon, ni Stoddard ne sont « the right man » : dès que Stoddard paraît, allongé dans la carriole, il fausse tout le jeu). Illusion aussi qu’on est à sa place là où on se trouve : thème du désert relevé par Mussel : cactus, là encore, propos de Hallie et de l’ex-marshal, incendie de sa maison dans le désert par Doniphon. Serait-ce le thème de l’errance, sous une nouvelle apparence (pilgrim) ? Jean Louis parlait d’une identité Stoddard/Doniphon, un peu comme Cyrano et Christian, dans la pièce, dont l’association fait un « héros de roman ». On a mieux ici, puisque le projet de retour à Shinbone séduit aussi Hallie : ces deux vieux vont revenir retrouver un mort, et tout se fondra dans un autre désert. TMWSLW est un chant funèbre, un thrène.***
Illusions, également, que nous nous faisions, nous, spectateurs. Comment fut « gagné » l’Ouest ? Par des mensonges, des dévouements, de petits actes d’héroïsme (la résistance de Peabody), de faux exploits, des silences, des sacrifices, des hommes de bien de la trempe des hommes du Mal, mais qui ne ressemblent certes pas aux héros que le cinéma nous a donnés à voir : clochardisés après une débâcle sentimentale, jouant leur vie pour défendre un steak, allant à un duel en tablier, offrant des cactus ou des roses. Les vérités, c’est bien connu, ne sont pas nettement d’un camp, n’ont pas de tenue de couleurs vives. Elles sont grises. TMWSLV, d’ailleurs, n’est pas un film en NB ; c’est un film en gris.
*qui est, bien sûr, savante mise en scène
**souvenons-nous, dans « Les Cheyennes », de la séquence de Dodge City : EARP et HOLLYDAY montrés comme on n’avait jamais –je crois- osé le faire. Encore une vérité qui n’est pas bonne à dire.
***c’est ben vrrrai, ça
"Words have too many shadows." (Little Dog, dans "La Plume Blanche"). Et j'ajoute: "Na!"