Voilà « Une bible et un fusil » (de son titre original « Rooster Cogburn »), suite directe de « Cent dollars pour un shérif », l’histoire d’un vieux shérif borgne. Mais 5 ans après, en 1974, ce n’est plus Henry Hathaway qui dirige, c’est Stuart Miller. La différence de talent se fait parfois douloureusement sentir, la suite ne valant pas l’original, mais le spectacle est présent. « Cent dollars pour un shérif », c’était une superbe traque aux allures de ballade, lente, matinée d’humour et d’émotion et réservant quelques belles scènes d’action, dont une magnifique scène d’anthologie à cheval, le tout tourné en 1.78. Ici, on reprend à peu près les même ingrédients : une traque tranquille ressemblant fort à une ballade également, beaucoup d’humour, moins d’émotion (mais tout aussi forte), et plus d’action, le tout cette fois tourné en 2.35, un bon vieux cinémascope. Si le premier film était un film touchant dans lequel un vieil ours de shérif acceptait d’aider une jeune fille à venger ses parents, le deuxième prend la voix de l’autodérision. L’humour n’était pas absent du premier (souvenez-vous par exemple de Wayne cherchant des soi-disant « traces » après être tombé de cheval, saoul comme pas deux), mais ici c’est une autre paire de manches. L’apparition d’un autre monstre sacré du cinéma va tout chambouler : Katharine Hepburn. Connue pour avoir remporté quatre Oscars dans sa carrière et défendu à pleines dents l’image de la femme dans quasiment tous ses films (nombreux sont ses chef-d’œuvres de la comédie et du drame), la belle a tout de même vieilli (il est loin le temps où, dans sa trentaine, elle faisait tourner en bourrique Cary Grant dans « L’impossible monsieur bébé » ou « Sylvia Scarlett »…). Et le moins que l’on puisse dire, c’est qu’elle vieilli comme le Duke : elle râle encore plus, elle semble aussi indestructible (malgré sa frêle apparence) et tient tête à Wayne. Leurs deux rôles donnent lieu à une sorte de choc des titans. L’un aime boire, vivre, dégainer et tirer, bien manger, dormir où il veut… L’autre est bonne sœur, très à cheval sur les convenances, aimant la nourriture saine et l’eau, opposée à la violence… Et quand ces deux là se retrouvent obligés de faire équipe pour rattraper des voleurs de nitroglycérine qui ont tué le révérend, alors là le mélange est explosif de toutes parts. Ce film fait beaucoup penser à « African Queen » avec la même Katharine Hepburn en 1951 (23 ans plus tôt), qui mettait Humphrey Bogart dans une position similaire à celle de Wayne. Même si le film de Miller ne vaut absolument pas le chef-d’œuvre de John Huston, force est de reconnaître que l’évidence est là (témoin par exemple de la scène ou Hepburn, bonne sœur dans les deux films, jette le whisky du héros par dessus bord pour éviter qu’il ne boive, présente dans les deux films). Mais si Hepburn et Bogart terminaient ensemble, il n’en sera pas de même avec le Duke, même si son hésitation est bien palpable à la fin du film. Wayne est un vieux shérif qui doit rester seul… Durant cette aventure, les deux vont apprendre à se connaître, s’apprécier et se soutenir. En fait, l’intérêt principal du film réside là-dedans : la rencontre au sommet de deux géants du cinéma, qui sont de plus nés la même année, en 1907. A part cela, que faut-il préciser ? Les paysages sont magnifiques, la musique est belle (sans valoir la partition de Elmer Bernstein pour l’original), les scènes d’action sont originales et rythmées (on en a pour son argent), la mise en scène est honorable… Bref, tout concorde à faire un bon produit, moins long que l’original (environ une bonne quinzaine de minutes en moins), mais très agréable. « Une bible et un fusil » est une bonne suite (faisant légèrement référence à l’original), un très bon Western en tout cas, mais qui pâtit de l’inévitable comparaison avec son modèle de 1969, ce dernier l’écrasant sous bien des aspects. Sans cela, on tient ici un bon film bien rôdé, un Western dans la tradition, pas révolutionnaire, mais efficace. Très bien.
