Une Balle signée X (No Name on the Bullet- 1959) de Jack Arnold
UNIVERSALAvec Audie Murphy, Charles Drake, Joan Evans, Virginia Grey, Warren Stevens, R.G. Armstrong, Willis Bouchey
Scénario : Gene L. Coon & Howard Amacker
Musique : Herman Stein
Photographie : Harold Lipstein (Eastmancolor 2.35)
Un film produit par Jack Arnold & Howard Christie pour la UniversalSortie USA : Février 1959John Gant (Audie Murphy), cavalier mystérieux et peu loquace, arrive à Lordsburg. Les habitants ne l’ont jamais vu mais dès qu’ils apprennent son nom, ils se mettent tous à paniquer. En effet, il s’agit d’un tueur à gages notoire ayant déjà une trentaine d’assassinats à son actif. Sa manière d’opérer est toujours la même : il arrive dans une ville, fait une halte à l’hôtel, observe les habitants et attend que la future victime, par peur, craque et le provoque ; pour remplir son ‘contrat’, il n’agit plus désormais qu’en état de légitime défense et ne se trouve ainsi jamais hors-la-loi. Encore une fois à Lordsburg, il n’y a ‘No Name on the Bullet’ et beaucoup d’habitants se sentent visés car ayant tous quelque chose à se reprocher. La paranoïa commence à se répandre, les morts s’accumulent, mais un homme va tenter de s’interposer pour ne pas que la folie meurtrière s’empare plus longuement de ses concitoyens, le docteur Luke Canfield (Charles Drake). Il essaye de convaincre John Gant de quitter la ville mais ce dernier, impassible et indéboulonnable, décide de n’écouter personne et de poursuivre son ‘travail’ jusqu’au bout. Mais qui peut bien être le X que recherche cette fois-ci ‘l’ange exterminateur’ qu’est John Gant ? Le suspense sera maintenu jusqu’à la fin.
Nous ne reviendrons plus ensuite sur Jack Arnold puisque
No Name on the Bullet est son ultime western. Résumons sa carrière une dernière fois très rapidement. Il fut tout d’abord l'assistant de Robert Flaherty au Service Cinématographique de l'Armée puis, une fois embauché au studio Universal, devint sous la tutelle du producteur William Alland l’un des plus grands spécialistes du film fantastique et de science-fiction. En tant que cinéaste, il réalisera donc l’excellent
Le Météore de la nuit (It Came from Outer Space) en 1953, puis les agréables et attachants
L’Etrange créature du lac noir (Creature from the Black Lagoon) en 1954 et
Tarantula en 1955. Il ne s’arrêtera d’ailleurs pas en si bon chemin puisqu’en 1957 il signera son chef-d’œuvre, toujours à l’intérieur de ce genre,
L’Homme qui rétrécit (The Incredible Shrinking Man), dont l’acteur principal sera Grant Williams qui interprétait déjà dans
Red Sundown (Crépuscule sanglant) le personnage le plus mémorable de ce western, un tueur sadique au visage d’ange dont le cynisme fait froid dans le dos. Avant donc
Crépuscule sanglant, Arnold avait déjà réalisé un western, pas plus tard que l’année précédente, le très médiocre
Tornade sur la Ville (The Man from Bitter Ridge) que je décrivais à peu près ainsi : "
Nous nous trouvons donc devant une série B médiocre et indigente à presque tous les niveaux […] J’avoue avoir aussi quelques difficultés à suivre Bertrand Tavernier quand il s’extasie sur la mise en scène de Jack Arnold qui m’a semblé au contraire, à deux ou trois séquence près, d’une platitude et d’une mollesse incroyables…" Ce ne sera heureusement pas le cas pour son deuxième essai dans le genre,
Red Sundown, bien plus convaincant, ni pour
Une Balle signée X qui possède à peu près les mêmes qualités et défauts que son prédécesseur.
Mais pour quelles raisons ce petit film de série B fauché a-t-il pu acquérir une aussi flatteuse réputation tant en France qu’aux Etats-Unis ? Loin de moi l’envie d’affirmer qu’elle est usurpée vu le très grand nombre d’aficionados qui ont certainement leurs raisons de l’apprécier autant, mais disons que j’ai du mal à adhérer et à comprendre cet enthousiasme pour un western que je considère comme se situant juste dans une honnête moyenne. Certes Audie Murphy sortait de ses sempiternels rôles de cow-boy durs au cœur pur ou de ces outlaws bien aimés pour interpréter ce coup-ci un tueur plutôt antipathique ; certes Jack Arnold s’était établi une certaine notoriété dans le domaine de la science-fiction et du fantastique ; certes le propos pouvait passer pour plutôt original même si ce n'était pas le premier à l'aborder… Pourtant tout cela ne peut être suffisant pour faire de
No Name on the Bullet un chef-d’œuvre du genre, loin s’en faut. Attention, il ne s’agit pas non plus d’un mauvais film mais il est légitime d’éprouver une certaine frustration après avoir lu autant de dithyrambes à son sujet. Une honnête série B de la compagnie spécialiste du genre, ce n'est déjà pas mal !
Le scénariste Gene L.Coon avait déjà écrit quelques épisodes de séries TV aussi célèbres que
Zorro (avec Guy Williams) et
Rawhide qui révéla Clint Eastwood. Par la suite, il se spécialisera dans la télévision et le nombre de séries cultes auquel il participa est assez impressionnant :
Les mystères de l’Ouest,
Bonanza,
Star Trek,
Kung Fu. Son script pour le film de Jack Arnold est plutôt bien construit, menant son suspense jusqu’au bout avec une certaine tenue et abordant des thèmes intéressants : "l’ange exterminateur" qui représente la mauvaise conscience des citoyens respectables et qui met à jour des culpabilités oubliées, la paranoïa provoquée par la peur et la folie meurtrière qui s’ensuit… mais il est en partie plombé par des dialogues trop abondants et qui plus est, ampoulés ou sentencieux. Ce qui nous donne une espèce de "sur-western" psychologique un peu pesant, se prenant très (trop) au sérieux (exceptés les échanges dialogués entre deux vieillards, pas le moindre humour ; ce qui n'est dans l'absolu pas un mal mais qui en l'occurrence rend ce film un peu trop solennel !) Si le budget avait été plus conséquent, Jack Arnold aurait pu nous offrir entre-temps quelques scènes d’action dignes d’intérêt ; il n’en est rien d’autant plus que la mise en scène s’avère bien trop sage pour un tel sujet, une mise en images manquant singulièrement d’imagination et de souffle. Elle n’en est pas pour autant déshonorante car nous pouvons y piocher quelques belles idées et beaux plans (l’arrivée de John Gant lors de la scène initiale), mais sans assez d’éclat pour arriver à nous passionner plus avant pour cette intrigue mélangeant les éléments du thriller et du western.

Et Audie Murphy me direz-vous, après avoir été à l'affiche de tant d'autres westerns très plaisants ? Il s’agit peut-être de son rôle le plus célèbre avec ceux qu’il tenait dans
La charge victorieuse (The Red Badge of Courage - 1951) et
Le vent de la plaine (The Unforgiven - 1960), tous deux de John Huston. Les admirateurs de l’acteur (également héros militaire le plus décoré de l’histoire des Etats-Unis) parleront ici de "underplaying" et de sobriété. En effet, il pourrait bien en être question, ce qui nous donne au final une interprétation qui convient parfaitement bien au personnage, le comédien se révélant aussi convaincant dans la peau de ce personnage antipathique que dans la majorité de ses précédents rôles. John Gant est un personnage assez inhabituel : antipathique, froid, calculateur et assez réactionnaire ; ce qui permet d’offrir au scénariste de biens captivants développements. Le calme et l’assurance de John Gant ne sont jamais pris en défaut et provoquent la peur. Ce sont alors les autres qui deviennent suspicieux, provocateurs et se mettent à assassiner pour ne pas être tués à leur tour. Les habitants de Lordsburg ont l’air, pour la plupart , d’avoir tous un cadavre caché dans leurs placards. De quel côté notre sympathie doit-elle alors se tourner ? Vers le tueur impassible et sans problème de conscience ou vers les citoyens dont le scénariste nous montre les défauts et actions inavouables ? L’ambiguïté du propos est bel et bien présente, ce qui est un élément non négligeable pour que le film ne retombe pas dans l’anonymat le plus total ; le "non-jeu" voulu de Audie Murphy y contribue aussi, apportant une touche d’originalité supplémentaire, le seul fait de ne le voir jamais décocher un sourire arrivant à nous le rendre inquiétant.

Le reste du casting n’est pas inoubliable mais néanmoins tout à fait honorable. Signalons l’excellent Willis Bouchey, déjà très bien dans
Le port de la drogue de Samuel Fuller et que l’on retrouvera souvent dans les films de fin de carrière de John Ford tels
La dernière fanfare,
Les cavaliers,
Le sergent noir,
Deux cavaliers,
L’homme qui tua Liberty Valance, et qui interprète ici avec conviction le rôle du shérif ne possédant pas assez de pouvoir ni de raisons valables pour arrêter le tueur. Charles Drake, dans la peau du médecin allant, pour une raison de "santé publique", s’interposer face à John Gant, se débrouille assez bien lui aussi. Il est celui qui représente la bonne conscience et les idées les plus humanistes sur la justice et la société. Mais ses phrases un peu didactiques et solennelles le rendent parfois un peu agaçant, ce qui n’était sûrement pas l’image de lui que voulait nous transmettre le cinéaste. En effet , il semble clair que les auteurs partagent les idées du médecin : il ne faut pas que ce genre de justice (celle du tueur) règne au risque de détruire la société ; même s’il y a trop de coupables, on ne peut pas tous les punir et surtout pas de cette manière ; une foule et un lynchage ne sont pas non plus une solution pour faire entendre raison… Les intentions sont évidemment fort louables mais n’atteignent que partiellement leur but par le fait d’être assénées sans trop de finesse et par l’intermédiaire d’un bavardage intempestif. Une honnête série B cependant qui devrait vous faire passer un bon moment mais qui peut se révéler décevante au regard de sa réputation. L’excellent final, que je vous laisse découvrir, nous montre le niveau qu’aurait pu atteindre ce western s’il avait été mené avec plus de conviction dans la mise en scène et plus de simplicité dans les dialogues. En l'état, ça reste cependant tout à fait estimable.