Messagepar gilson » 29 oct. 2011 19:19
Belles photos pour un beau film. Si, d'ailleurs, un film est comme un ver de terre, dans la mesure où il se tord sur lui-même, tortille pour avancer, alors « Une Nation en Marche » n’en est pas un. Sauf que c’est un film magnifique. Allez comprendre. Les chiffres sont peut-être une façon d’y accéder.
1) 3>1, d’abord. Trois, ce n’est pas seulement une foule, c’est aussi mieux pour raconter. Mais les trois personnages (Ramsay, Hank et Pawnee) ont quelque chose de particulier, qui reparaît tout au long du film : ils ne sont pas rivés l’un à l‘autre par le passé ou de toute éternité : ils sont en contrat.
2) Contrats à tous les étages : celui qui lie les clients de la Wells au héros, Ramsay, et à la Wells, avec garanties à la clé, contrat de mariage, contrat entre le couple indien et le père veuf, âprement négocié, contrat même entre les époux déjà contractualisés (Justine qui donne un an à son mari pour faire le travail), contrat de la Welles avec le Nord pour la distribution du courrier, entre Ramsay et sa compagnie, bien sûr, entre Hank et Ramsay (à toi pour un an, pas pour la vie), je dois en oublier.
3) La preuve par (l’)huît(re) : le début époustouflant (efficacité, suspens et comique) et toute la suite reposent sur plusieurs bourriches qui arriveront pile poil ou feront tout capoter.
4) Plus sérieusement, il y a dans le film un déploiement numérique d’hommes presque vertigineux : le mouvement vient aussi de là (bon titre français). L’espace, ce sont des hommes, et il se fait bouffer, l’espace, sous les yeux des Indiens qu’on voit de façon très différenciée, Indiens qui furent vite submergés par le nombre, entre autres choses.
5) Cet espace qui rétrécit grâce au mouvement (tiens, je ne sais pas pourquoi, ça me rappelle une formule mathématique célèbre), qu’il faut entretenir par des exploits, du courage, de l’esprit d’entreprise, la prospection de la clientèle, cet espace, le cinéaste le fait tout juste exister, puisque l’énergie va le bouleverser. Il y a même quelque chose de remarquable, dans ce film : le traitement de la Guerre de Sécession, relativement marginalisée peut-être parce que cette guerre, vue de loin ou de très loin, pourrait bien se ramener à une simple question de vitesse et de mouvement. De ce point de vue, d’ailleurs, la trahison de la mère de Justine, qui porte la dernière partie du film, en arrête l’élan et le ramène à des dimensions plus ordinaires, plus humaines.
6) Un western pour les gens qui ont réfléchi à la vitesse, donc. Et un western où les personnages sont pris par elle ou se refusent à elle, mais se déterminent par rapport à elle : Hank, archétype, idée de la lenteur, qui change au cours du film, et Justine qui elle aussi, compose avec cette nouvelle réalité : au début, c’est : Moi avant ton boulot (quel boulot ? Pas grand-chose : la Conquête de l’Ouest). Et après, c’est elle qui lui met sur le lit (conjugal) sa panoplie de pionnier de la Wells.
7) Géométrie ? De la linéarité, encore et toujours : on n’a pas même le temps de réaliser que les tempes du héros grisonnent : allez, allez, le courrier must go on. Remarquez-le : le héros se fait attaquer. Dans un autre film, on retrouverait les agresseurs (cf mon ver de terre). Là, tout le monde s’en fiche, sauf le spectateur qui se demande ce qu’on fait de son rythme de spectateur à lui. Mais il est prêt à marcher, le spectateur, et à continuer sur ce manège insolite.
8) Et quantités, bien plus que personnages et qualités, même si la fin atterrit : la Wells transporte tout : vous pouvez vous faire livrer ce que vous voulez : lettres, paquets, épouses, bébés, tout passe à la moulinette de cette machine qui s’installe sous nos yeux, colorée et pittoresque à ce moment, mais qui annonce notre monde de façon singulière.
"Words have too many shadows." (Little Dog, dans "La Plume Blanche"). Et j'ajoute: "Na!"