Four Faces West (1948) de Alfred E. Green
UNITED ARTISTSSortie USA : 03 Août 1948Vous est-il arrivé d’avoir envisagé l’éventualité de tomber un jour sur un western sans aucun morts, privé de personnages fourbes ou malsains, sans batailles ni bagarres et, plus étonnant encore, sans coups de feu pas même un seul tiré en l’air ? L’auriez vous cru seulement possible ? Et pourtant, si vous en aviez rêvé, sachez qu’il existe et qu’il s’agit de ce
Four Faces West, malheureusement jamais sorti en France suite à son bide monumental aux USA probablement dûe à son absence totale de violence. Dans la lignée de
L’Ange et le Mauvais Garçon (
The Angel and the Badman) avec John Wayne, mais au ton encore plus doux, le film d’Alfred E. Green, même si pas nécessairement meilleur, se révèle un western encore plus atypique et en tout cas tout aussi attachant, l’histoire qu’il nous conte semblant être de prime abord banale mais bifurquant à chaque tournant vers des directions totalement inédites.

Ross McEwen (Joel McCrea) arrive à Santa Maria dans le Sud du Nouveau Mexique au moment où l’on fête l’installation dans cette petite ville du nouveau quartier général du célèbre Marshall Pat Garrett (Charles Bickford). Alors que tout le monde est réuni autour de lui durant son discours d’intronisation, Ross se rend à la banque où il demande à se faire prêter la coquette somme de 2 000 dollars. Le banquier refusant, Ross sort son arme et l’oblige à lui donner les billets en lui promettant de les lui rembourser petit à petit. Il s’enfuit, poursuivi par Pat Garrett et la milice qu’il vient de lever. Alors que le banquier offre une récompense de 3000 dollars pour la capture mort ou vif du cambrioleur, l’honnête Marshall conseille instamment à ses hommes de le prendre vivant. Ross, après avoir abandonné son cheval et s’être fait mordre par un serpent arrive à se cacher en attrapant un train. A bord, il fait la connaissance de Fay Hollister (Frances Dee), une jolie infirmière qui le soigne et dont il tombe amoureux ainsi que du mexicain Monte Marquez (Joseph Calleia), le tenancier d’un saloon dans la même ville où se rend Fay pour y exercer sa profession. Tous deux vont vite réaliser que leur nouveau compagnon de voyage est le voleur de banque recherché mais, charmé par sa gentillesse et ses bonnes manières, n’en diront rien et feront tout au contraire pour le soustraire aux mains de la justice. Pat Garrett ayant appris que Ross avait déjà rendu une partie de la somme dérobée commence lui aussi, sans pourtant le connaître, à le prendre en haute estime ; il n’en continue pas moins sa traque au milieu du désert du Nouveau Mexique où Ross a été obligé de prendre la fuite sur le dos d’une vache. L’outlaw arrive dans une ferme isolée où il découvre tous les membres d’une famille gravement atteints de la diphtérie. Plutôt que de passer la frontière qui est proche, il décide de leur venir en aide malgré qu’il sache ses poursuivants sur le pojnt de le rejoindre…
Ce que je ne vous ai pas encore dévoilé est la raison de ce ‘hold-up à crédit’ (et il n’y a pas vraiment de spoiler puisque nous l’apprenons assez tôt dans le courant de l’histoire qui n’est d’ailleurs pas écrite pour avancer à coups de théâtre) mais, comme vous l’aurez deviné, c’était pour une bonne cause ; Ross McEwen en avait besoin tout simplement pour aider son père à sauver son ranch. Un vrai brave type que ce personnage formidablement interprété par Joel McCrea, un ‘Valiant Gentleman’ comme sa compagne le nommera, qui arrivera même à émouvoir l’homme qui l’a traqué pendant des semaines, ce dernier lui promettant in fine d’intercéder en sa faveur. L’homme qui a mis en scène ce western inhabituel est un cinéaste très prolifique qui a signé d’innombrables films depuis l’époque du muet mais dont le plus grand titre de gloire pourrait être d’avoir réuni Groucho Marx et Carmen Miranda dans
Copacabana en 1947. Autant dire que son œuvre n’a pas laissé de souvenirs impérissables. Son western aurait pu marquer quelques esprits s’il n’était pas passé aussi inaperçu malgré une bonne réception par la critique. Il s’agissait du dernier film produit par Harry Sherman, l’homme qui avait fait débouler
Hopalong Cassidy sur les écrans et qui, pour ce western, avait déboursé une somme considérable par rapport à ses films de série coutumiers, pas moins d’un million de dollars.
Un western d’une belle sensibilité mais ne tombant jamais dans la mièvrerie. La bonté du héros est celle d’un homme simple, digne et respectueux, jamais ni sentencieux ni moralisateur. Aucun prêchi-prêcha au sein de ce beau scénario signé par les deux hommes (Teddi Sherman et C. Graham Baker) qui écriront plus tard le formidable
Le Mariage est pour demain (
Tennesse’s Partner) de Allan Dwan mais des idées astucieuses qui en disent plus qu’une parabole ; alors qu’aucune balle n’est utilisée dans le courant de l’intrigue pour tuer ou blesser, elles auront une toute autre utilité, celle de sauver la vie. En effet, Ross s’en sert en enlevant la poudre afin de récupérer le souffre et en faire un produit à inhaler pour soigner les enfants atteints de diphtérie. Sinon, rien de spécialement remarquable mais un ton d’une tendresse inaccoutumée et des images inédites comme la fuite dans le désert à dos de vache mais surtout un quatuor de personnages formidablement attachants tous très sobrement interprétés.
Joel McCrea, qui ne m’avait encore pas convaincu dans le western y compris dans ses rôles les plus importants (
Buffalo Bill), en trouve ici un qui lui sied à merveille et forme avec Francis Dee un couple très touchant ; il faut dire qu’ils étaient dans le civil mari et femme et que leur véritable amour passe très bien à l’écran. De plus, ils montent tous deux superbement bien à cheval et le réalisateur en profite allègrement n’ayant pas besoin de recourir à de vilaines transparences lors des longues séquences de chevauchées, ce qui est, avouons le, très appréciable. A leurs côtés, deux acteurs qui ne déméritent pas d’autant qu’ils ne sont pas dans leur registre habituel, Joseph Calleia coutumier des rôles antipathiques et surtout Charles Bickford qui compose un des Pat Garrett, voire même l’un des Marshall, les plus attachants que l’on ait pu voir jusqu’à présent. Qu’ils rendent quand même eux aussi grâce aux scénaristes de leur avoir écrit d’aussi beaux rôles, plus riches qu'il n'y parait !

Beaucoup de dignité dans le fond et pas mal de qualité dans la forme. La photographie de Russell Harlan en noir et blanc est superbe et, le film étant tourné les ¾ du temps dans de grandioses décors naturels, le chef-opérateur s’en donne à cœur joie pour rendre toute sa majesté à la région désertique et montagneuse de Gallup au Nouveau Mexique et notamment le El Morro National Monument sur lequel est inscrit "Paso por Aqui", qui est aussi le titre du roman dont est tiré le film. Il s’agit d’un énorme rocher (une montagne même) sur laquelle les noms des hommes qui ont contribué à développer cette région du Sud-ouest des Etats-Unis sont inscrits. Plastiquement, le film est ainsi une belle réussite et le réalisateur n’a plus qu’à se laisser porter par ces magnifiques paysages au milieu desquels évoluent ses protagonistes, sans éclat de génie mais avec un solide professionnalisme. Enfin, Paul Sawtell compose à cette occasion l’une de ses partitions les plus belles. Quasiment pas d’action mais beaucoup de sentiments dans ce western dans lequel l’ironie est totalement absente ; une bonne bouffée d’air frais que nous apporte ce film au charme certain et durable, le western idéal à regarder en famille si vos rejetons sont encore en bas âge. Dommage que le seul DVD qui existe (d’excellente qualité par ailleurs) ne nous propose pas même les sous titres anglais ! J’ai quand même réussi à bien le suivre d’autant qu’il est assez avare en dialogues.