La Reine de la prairie (Cattle Queen of Montana, 1954) de Allan Dwan
RKOAvec Barbara Stanwyck, Ronald Reagan, Gene Evans, Lance Fuller, Anthony Caruso, Jack Elam, Yvette Duguay, Morris Ankrum, Chubby Johnson
Scénario : Robert Blees, Howard Estabrook, Thomas W. Blackburn
Musique : Louis Forbes
Photographie : John Alton (Technicolor 1.33)
Un film produit par Benedict Bogeaus pour la RKOSortie USA : 18 novembre 1954Il se pourrait très bien que
La Reine de la prairie fasse partie de ses quelques westerns m'ayant inoculé le virus du genre alors que j'avais à peine 8 ou 9 ans ; il fit en effet partie des premiers westerns que je découvrais émerveillé alors qu'ils étaient diffusés quasiment tous les mardis soir sur Fr3. Ce ne serait en tout cas pas étonnant vu que le film de Dwan est probablement l'un des meilleurs choix pour faire aborder le western à des enfants en bas âge. Le cinéaste semble avec ce film avoir voulu retourner aux sources de l'innocence perdue du cinéma, nous proposant un spectacle d'une ingénuité confondante, patchwork improbable mais réussi entre western urbain, western pro-indien, film d'aventure, film d'action et 'serial'. Suivant votre état d'esprit et (ou) vos goûts en matière de western,
La reine de la prairie pourra être un enchantement ou au contraire, pour ceux qui ne jurent que par les westerns dits 'crépusculaires' ou disons plus réalistes ou modernes, un véritable calvaire à force de naïveté. En revanche, si vous avez gardé votre âme d'enfant, c'est quasiment gagné d'avance : le spectacle pourrait vous ravir comme il l'a fait pour moi cette semaine malgré ses défauts évidents, notamment son scénario.
1954, année faste pour Allan Dwan ! Après
Tornade sorti quelques semaines plus tôt, Allan Dwan propose encore aux spectateurs de l'époque
La Reine de la prairie. On quitte ici les paysages souvent arides de Californie, et ses terres rouge et ocre, pour les plaines calmes et verdoyantes du Montana avec ses magnifiques forêts de bouleaux constamment balayées par les vents (rarement la manière de filmer la nature ne nous aura laissé une telle impression de plénitude). La palette de John Alton change de ce fait radicalement de ton tout en demeurant plastiquement toujours aussi remarquable, et ce dès les premières images montrant Barbara Stanwyck arriver dans ces plaines idylliques et reposantes ; elle dont on apprend qu’elle vient du Texas aux sites beaucoup plus secs et rugueux. On devine aisément le contraste et l'on se met comme son personnage à admirer la sereine beauté de ces perspectives splendides. Excepté dans les westerns de Delmer Daves, d'Anthony Mann, George Sherman ou de John Ford, on aura rarement autant contemplé des panoramas de l’Ouest américain avec un tel ravissement tellement ces extérieurs tournés dans le Glacier National Park sont somptueusement filmés et photographiés (malgré quelques hideuses transparences de studio qui viennent de temps en temps gâcher cette belle harmonie) ! Déjà rien que pour son aspect plastique, ce western d’Allan Dwan mérite d’être vu car sur le plan du scénario, en revanche, ça "pêche" certes un peu.

Sierra Nevada Jones (Barbara Stanwyck) arrive enfin avec son père et leur troupeau d’un millier de têtes dans le Montana où ils souhaitent désormais s’installer. Mais ils sont attaqués le soir même par un groupe d’Indiens qui massacrent les cow-boys et font fuir les bovins. Quasi seule survivante après que son père se soit fait lui aussi tué, Sierra Nevada est emmenée et soignée par la tribu des Indiens Blackfoot dont font pourtant partie ses agresseurs. En fait, Colorados (Lance Fuller), le fils du chef, les a recueillis ne sachant rien des exactions de Natchakoa (Anthony Caruso) qui s’est acoquiné avec McCord (Gene Evans), un Rancher local souhaitant rester seul propriétaire de la vallée. Contre des armes et du whisky qu’il leur fournit en cachette, les vils Indiens doivent chasser tous les nouveaux venus. Peu découragée par ces évènements dramatiques, Sierra Nevada décide néanmoins de repartir à zéro. Mais McCord décide de s’en débarrasser, d’autant plus qu’elle pourrait avoir été témoin de son arrangement peu catholique avec Natchakoa. Pour cela, il charge Farrell (Ronald Reagan), qu’il vient d’embaucher comme garde du corps, d’assassiner la jeune femme entêtée. Ce que McCord ignore, c’est que le Gunfighter est en réalité un officier de l’armée américaine chargé d’infiltrer son "gang’" pour faire cesser le trafic d’armes, les Tuniques Bleues ayant de fortes présomptions sur le fait qu’il en soit l’instigateur. Sierra Nevada va avoir fort à faire, prise en étau entre des tentatives de meurtre sur sa personne et le déclenchement d’une guerre indienne qui semble plus proche que jamais…
Alors certes, ça remue beaucoup, les coups de théâtre et les séquences d’action sont légion mais, comme pour
Tornade, le scénario manque de profondeur et de chair et les personnages d’âme. Avec son rythme trépidant (rares sont les scènes dépassant les 30 secondes), sa naïveté désarmante et son imagerie candide,
La Reine de la prairie rappelle d’ailleurs beaucoup les serials de l’époque du muet, et pouvait sans doute se révéler sacrément anachronique au milieu des années 50 alors que le genre plongeait dans le 'sur-western' avec un regain de sérieux cherchant à le légitimer et une psychologie assez poussée. Mais justement, le film de Dwan a pu aussi apporter une sacrée bouffée d’air frais à ceux qui n’appréciaient guère ce tournant un peu solennel ou bifurquant parfois vers l'ironie dont le film de Dwan est d'ailleurs totalement dépourvu. Cependant personne ne doit être dupe, l’ingénuité de ce film est voulue et assumée ; comment un cinéaste ayant tourné peu de temps avant des chefs-d’œuvre aussi noirs que
Iwo Jima ou
Silver Lode aurait pu à ce point changer de ton sans en être conscient ? Malgré tout, Allan Dwan décide de filmer
Cattle Queen of Montana au premier degré, retrouvant l’élan et l’innocence de ses premiers films. Ses personnages ont des noms de serials (Colorados, Pop, Sierra Nevada), les situations rocambolesques se révèlent souvent invraisemblables, les raccourcis narratifs ne font pas forcément preuve d’un sens aiguisé de l’ellipse mais ne servent qu’à faire avancer l’action plus vite, et la psychologie des personnages s’avère très sommaire. Bref, ceux qui désirent se retrouver devant un western adulte doivent être prévenus que cela ne sera pas le cas, l’honorable antiracisme du film étant lui aussi très schématique et loin d’être aussi subtil que dans les grands westerns pro-indiens de la décennie. Mais qu’importe puisque ce que recherche Dwan ici est le divertissement avant tout, sans vraiment tenter de faire passer un quelconque message !

Par ailleurs, cette innocence dans le ton est tout de même ponctuée par quelques rudes éclairs de violence, dynamitée par une efficacité et une nervosité qui viennent constamment relancer l’intrigue et insuffler un réel souffle au film. On y trouve des personnages attachants dont celui, intrigant et ambigu de prime abord, interprété par un Ronald Reagan vraiment très à l’aise dans son rôle. Aux côtés de cet acteur un peu sous-estimé (il était parfait dans
Kings Row, le chef-d’œuvre de Sam Wood, dans les films de série B qu'il tourna pour la Universal et il sera remarquable dans le western suivant de Dwan), une Barbara Stanwyck charismatique à qui l’on octroie le premier rôle et qui, après
The Furies d’Anthony Mann, continue de construire son personnage de forte tête féminine déterminée et tenace, et qui prépare le terrain pour ses futurs protagonistes westerniens dont ceux de
Quarante Tueurs (Forty Guns) de Samuel Fuller jusqu’à celui de Victoria Barkley dans la série télévisée
The Big Valley. Lance Fuller est très peu crédible en Indien au contraire d’Anthony Caruso en peau-rouge renégat ; cependant les deux comédiens semblent s'être pris au jeu nous faisant oublier ce grimage qui pourra faire sourire. Le reste du casting est constitué de vétérans du genre comme Myron Healy, Jack Elam, Morris Ankrum et surtout un excellent Chubby Johnson.
Comme je prévenais donc en préambule, selon l’état d’esprit dans lequel on se trouve et le degré d’affinité que l’on a pour le western, on pourra donc grandement ou non apprécier ce beau livre d’images qui se déroule à 100 à l’heure mais qui manque de subtilité et d’originalité. Ceux qui ne sont au départ guère attachés au genre risquent fort de s’ennuyer à la vision de ce western d’Allan Dwan, contrairement à celle de
Silver Lode. Pourtant, au vu de l’avis de Jacques Lourcelles dans son remarquable dictionnaire du cinéma, on pourrait en douter ; malgré le fait de ne pas être entièrement d’accord avec sa dithyrambe qui ne va pas sans certaines exagérations (mais quelle passion n’en entraîne pas systématiquement ?), quitte est d’avouer que sa fougue et son amour pour le film donnent farouchement envie de le découvrir ou redécouvrir, de le réévaluer ou simplement de lui donner une seconde chance ; en ce qui me concerne, c'est ce qui vient de m'arriver : «
Cattle Queen of Montana représente la quintessence du cinéma hollywoodien. Il engendre une sorte de ravissement, né en particulier de l’aisance avec laquelle le réalisateur réussit, avec un budget limité et en respectant les règles d’un genre assez strict, à s’exprimer de la manière la plus personnelle qui soit […] Les plans d’extérieurs précédant l’attaque indienne sont parmi les plus beaux qu’un cinéaste américain n’ait jamais filmés en couleurs[…] Un cinéma aussi abouti, qui puise sa substance dans les seules péripéties de l’action et dans la contemplation du monde, qui n’a nul besoin des facilités du 'discours' pour se faire entendre, semble aujourd’hui appartenir à un âge d’or totalement révolu. »
Il m’a fallu quelques visions pour pleinement apprécier
Cattle Queen of Montana qui me semble néanmoins rester en-deçà d'autres films de la série de westerns produits par Benedict Bogeaus. Mais rien que pour son fabuleux sens du cadre, sa réelle beauté plastique (malgré toutes les scènes nocturnes tournées en nuit américaine), ce plan en plongée du haut de la colline avec les personnages à contre-jour en premier plan ou celui qui clôture le film avec Barbara Stanwyck qui prend le bras des deux hommes qui l’aiment, il mérite de rester gravé dans nos mémoires. Rarement les paysages verdoyants du Montana, ses montagnes majestueuses, ses cours d'eau sereins ne nous auront paru aussi amoureusement filmés et photographiés ! Et rien que pour ce dépaysement rafraichissant, le voyage aura été un véritable plaisir !