L'Escadron Noir (Dark Command, 1940) de Raoul Walsh
REPUBLICSortie USA : 15 avril 1940Après King Vidor et Michael Curtiz, c'est au tour de Raoul Walsh de nous proposer son western de l'année. Après
Stagecoach et
Allegheny Uprising, la couple John Wayne/Claire Trevor se reforme mais alors que dans le précédent les deux acteurs semblaient complètement perdus, on les retrouve à nouveau en pleine forme, John Wayne nous dévoilant même une facette humoristique sous laquelle on ne l'attendait pas.
1859. Le Kansas est en proie aux prémices de la guerre civile. Bob Seton (John Wayne), simple cow-boy bagarreur, devient shérif de Lawrence au détriment de l’instituteur Will Cantrell (Walter Pidgeon). Dépité, ce dernier se jette dans le trafic d’armes avant de tirer profit du début des hostilités entre le Nord et le Sud, se plaçant à la tête d’une bande de mercenaires sans foi ni loi pour mettre la région à feu et à sang en prétendant lutter pour la cause de la Fédération. Le shérif n’aura alors de cesse de le traquer, d’autant plus qu’ils sont amoureux tous deux de la même femme (Claire Trevor).Au début de la décennie, la Republic ne produit encore que des films de série B avec des budgets ne s’élevant pas au-dessus de quelques dizaines de milliers de dollars. L’année précédente, la carrière de John Wayne s’envole grâce au film de John Ford
La chevauchée fantastique. Herbert J Yates, patron du studio, veut achever de faire de lui une véritable star et n’hésite pas pour cela à mettre sur pied un film de grande envergure, le premier vrai film de série A de la compagnie. Il débloque 750 000 dollars, acquiert les droits d’un roman de W.R. Burnett, engage une écurie de 4 scénaristes et Raoul Walsh lui est délégué par la Warner pour assurer la mise en scène. Il se fait prêter Walter Pidgeon par la MGM, engage le cow-boy chantant Roy Rogers et le faire valoir habituel du Duke, George ‘Gabby’ Hayes (précurseur des personnages pittoresques qu’interpréteront, surtout chez Hawks, Arthur Hunicutt et Walter Brennan). Opération réussie puisque ce film sera l’un des plus gros succès de l’année et du studio.
Biographie parmi tant d’autres du chef de bande Quantrill qui prit d’assaut vers 1860 la ville de Lawrence, ce western ne peut raisonnablement être comparé ni à l'épique
Piste des Géants ni, en anticipant un peu, avec les grands chefs d’œuvre que Walsh réalisera durant cette décennie. Face à ces derniers,
L’escadron noir fait évidemment pâle figure et cette mauvaise réputation qu’il a en France pourrait être due au fait qu’il ne soit sorti sur nos écrans qu’à la fin des années 40 après tous ces monuments. Avec le recul, Walsh s’en tire pourtant relativement bien quand on sait que le studio réclama de sa part un strict alignement sur le style de la firme
connue jusque là pour sa conception d’un western stéréotypé aux recettes expéditives. C’est Raoul Walsh qui avait offert à John Wayne son premier rôle marquant dix ans plus tôt dans
The Big Trail. Il le dirige à nouveau ici en lui faisant jouer un personnage de cow-boy fruste, honnête et courageux qui se trouvera confronté à un homme intelligent et cultivé. Cet antagonisme préfigure, avec cependant moins de subtilité, celui de
Liberty Valance, et comme dans ce dernier, ce sont la force tranquille, la tradition et le courage qui auront la préférence du metteur en scène sur l’intelligence, la modernité et le savoir. Pour Bob Seton, il y a trop de lois alors que tout ce dont la ville a besoin, c’est d’homme comme lui, capables de neutraliser les fauteurs de troubles.
Cette vision un peu stéréotypée est due à un scénario qui s’avère être le maillon faible du film, hésitant sans cesse entre le sérieux historique et les démêlés sentimentaux du triangle amoureux. Les deux sont également intéressants mais la construction est assez maladroite, mal équilibrée et l’ensemble manque de cohérence surtout dans la dernière demi-heure où les évènements s'enchaînent un peu trop rapidement. Le final est même pour le moins bâclé, Walsh oubliant un peu l’aspect politique du film pour un happy end trop abrupt. Après sa terne prestation dans
Le Premier Rebelle, John Wayne se révèle ici totalement convaincant et plein d’humour. Il faut l’avoir entendu sortir ses innombrables dictons ou tenter maladroitement de faire sa cour à Claire Trévor pour se rendre compte à quel point le Duke possédait un réel talent dans le registre comique. La dernière réplique, très drôle, prouve l’autodérision dont il était capable contrairement aux idées reçues. Roy Rogers lance cette phrase «
Comme Shakespeare l’a dit : Tout est bien qui finit bien » sur quoi Bob ‘Wayne’ Setton répond «
Shakespeare…Ah oui, ce devait être un texan, il y a longtemps qu’on dit ça là bas ». Pour le reste, son charisme fait encore mouche et s’il interprète un personnage d’une intelligence limitée («
I’m a dumb » répètera-t-il à plusieurs reprises), il nous reste constamment sympathique. Il est entouré par l’élégant Walter Pidgeon, moustachu et tout de noir vêtu, jouant avec une grande classe le méchant de service, instituteur le jour et pillard la nuit, par Claire Trevor en femme forte, et par Roy Rogers qui s’en sort étonnement bien hors de son rôle de cow-boy chantant des films de séries habituels.

La mise en scène du borgne le plus enjoué d’Hollywood est tout ce qu’il y a de plus dynamique, nerveuse et rythmée, aidée en cela par le remarquable travail de cascadeur de Yakima Canutt. La scène au cours de laquelle la diligence pique droit d’une falaise dans la rivière est impressionnante et sera pillée à maintes reprises. De nombreuses autres scènes d’action sont efficacement réalisées, Walsh utilisant avec professionnalisme l’important budget mis à sa disposition. Malgré les faiblesses du scénario et une construction assez aléatoire, un honnête divertissement réalisé avec l’efficacité habituelle d’un Walsh, exécutant ici avec vigueur, le travail de commande d’un studio jusque là cantonné dans la série B, et qui, même s’il ne nous transporte pas, nous procure notre comptant de plaisirs westerniens.