Les Sept mercenaires (The Magnificent Seven - 1960) de John Sturges
UNITED ARTISTSAvec Yul Bryner, Steve McQueen, James Coburn, Brad Dexter, Charles Bronson, Robert Vaughn, Horst Buchholz
Scénario : William Roberts d’après Les 7 samouraïs de Akira Kurosawa
Musique : Elmer Bernstein
Photographie : Charles Lang (DeLuxe 2.35)
Un film produit par Water Mirisch pour la United ArtistsSortie USA : 23 octobre 1960Dans le Nord du Mexique à la fin du 19ème siècle. Un petit village de paysans reçoit fréquemment la visite peu amicale de Calvera (Eli Wallach) et ses quarante bandits qui pillent à chaque fois une bonne partie des récoltes, laissant juste aux habitants de quoi survivre. Ce jour-là, un paysan ayant voulu se rebeller est abattu par le chef des brigands. C’en est trop pour la communauté qui décide d’aller chercher de l’aide pour ne plus avoir à subir les exactions de Calvera. L’ancien du village a pour idée d’envoyer trois de ses concitoyens aller acheter des armes aux États-Unis avec le peu d’argent que les habitants ont pu réunir. Dans la première ville qu’ils atteignent, les trois péons assistent à une violente et meurtrière altercation d’où sort grand vainqueur Chris Adams (Yul Brynner). Ayant entendu parler du problème des mexicains, Chris leur propose, plutôt que de payer des armes dont ils ne sauraient se servir, de louer les services de mercenaires qu’il se chargerait de commander. Positivement surpris par les exploits de Chris dont ils viennent d'être témoins, ils ne disent pas non. Le recrutement débute et le groupe est finalement formé de sept hommes rétribués de seulement 20 dollars chacun ; outre Chris, l’équipe est constitué de Vin (Steve McQueen), Bernardo (Charles Bronson), Lee (Robert Vaughn), Britt (James Coburn), Harry (Brad Dexter) et le jeune Chico (Horst Buchholz). Ils ne leur reste plus qu’à se rendre au village et à enseigner à ses habitants le maniement des armes dans le but de se préparer à la bataille qui se profile...
Sept hommes partis à la défense de paysans engagés dans une bataille sans merci contre des bandits qui les spoliaient depuis trop longtemps. Sur ce postulat de départ, Akira Kurosawa avait réalisé
Les Sept samouraïs en s’inspirant du western américain. John Sturges prend à son tour pour modèle ce chef-d’œuvre pour en faire une adaptation westernienne que l’immense cinéaste japonais applaudira avec force, offrant même en cadeau à son homologue américain une arme de son pays pour le remercier de cette réussite. La boucle était bouclée mais la comparaison entre les deux films n’a pas nécessairement lieu d’être autrement que pour se rendre à l’évidence de la supériorité écrasante du film japonais à tous points de vue. Christian Viviani écrivait dans son excellent ouvrage sur le western
"The Magnificent Seven, jetant un pont improbable entre le western et le film de samouraï, faisait au genre un mal dont il aura des difficultés à se relever. En fait il le vidait sans même lui conférer cette poésie de la décadence que Peckinpah sut lui insuffler." Si j’aurais tendance à être en phase avec lui, je n’irais néanmoins pas dénigrer ici trop longuement ce western grâce auquel beaucoup sont venus au genre, l’ont découvert et apprécié. Il existe certainement très peu d’adolescents n’ayant pas porté le film au pinacle lorsqu’ils tombèrent dessus pour la première fois ; et je dois avouer l’avoir adulé moi aussi, John Sturges ayant même été un temps l’un de mes cinéastes préférés grâce également à un autre de ses grands spectacles,
La Grande évasion (The Great Escape), qui réutilisait de nombreux des jeunes acteurs du western entre temps devenus des stars. Aujourd’hui, ces deux films ne me procurent plus guère de plaisir alors que le cinéaste reste toujours au sommet de mon panthéon concernant le genre pour sa fabuleuse décennie 50, de
Fort Bravo (Escape from Fort Bravo), son chef-d’œuvre, au
Dernier train de Gun Hill (Last Train from Gun Hill), y incluant même le western moderne qu’était le splendide
Un Homme est passé (Bad Day at Black Rock).
Si contrairement au rédacteur de la revue Positif, je ne parlerais pas de déchéance ou de décadence, car beaucoup apprécient au contraire ce tournant pris par le western à cette occasion, ce que je peux tout à fait comprendre,
Les Sept mercenaires marque cependant le réel commencement d’une certaine bifurcation du genre et plus globalement du film d’aventure hollywoodien au sens le plus général du terme (incluant donc film de guerre, western, film d’action, film d’aventure…) vers le spectaculaire à outrance. Beaucoup de ces films à très gros budget (sortes de ‘pré-blockbusters’), champions des rediffusions télévisées en France, me semblent malheureusement pour la plupart sans chair et sans âme. De l’honnête ouvrage certes mais qui en général (car je généralise consciemment et subjectivement) finit par fortement ennuyer dès leur seconde vision par manque d’aspérités et de personnalités que ce soit au sein des scénarios ou des mises en scène, l'esbrouffe et le déploiement de moyens n'arrivant que rarement à cacher l'absence d'idées et d'efficacité dans la réalisation. Le plus gros problème (‘danger’) avec
Les Sept mercenaires (et nombreux autres westerns des années 60), ce serait que tous ceux n’ayant pas apprécié penseraient pouvoir juger le genre au travers de ce titre emblématique et se tromperaient lourdement en estimant que tout ce qui a précédé lui ressemblerait peu ou prou, se coupant du coup de tout un pan du cinéma qui aurait éventuellement pût leur plaire, de Anthony Mann à John Ford en passant par William Wellman ou Budd Boetticher. Il me fallait le redire afin que la curiosité soit pour certains plus grande qu’une première malheureuse rencontre. Si
Les Sept mercenaires semble loin de valoir les westerns précédents de Sturges, serait-ce dû au fait que le cinéaste, étant pour la première fois producteur de son propre film, se serait plus préoccupé de cette nouvelle fonction que de sa mise en scène proprement dite ? Ce ne sont que des suppositions mais les difficultés qu’il a rencontré lors de la postproduction et du tournage pourraient éventuellement expliquer le manque de motivation et d’engagement que j’ai cru déceler au travers de sa réalisation.

Au départ, ce serait la maison de production de Yul Brynner qui aurait bloqué les droits de l’adaptation du film de Kurosawa, annonçant d’emblée que le comédien serait de la partie et que la United Artists le distribuerait. Le producteur Lou Morheim affirme de son côté que c’est lui qui aurait originellement acquis les droits pour qu’Anthony Quinn en soit la future vedette. Puis des bruits coururent comme quoi Yul Brynner dirigerait Anthony Quinn, d’autres parlant simultanément de Clark Gable, Stewart Granger, Glenn Ford ou Anthony Franciosa pour tenir le rôle principal, celui de Chris. C’est finalement à Yul Brynner qu’il revint, celui-ci étant remplacé à la mise en scène par Martin Ritt, 'délogé' à son tour par John Sturges qui se voit offrir par la même occasion le poste de coproducteur, la Mirisch Company étant désormais la compagnie productrice. C’est d’ailleurs Walter Mirisch qui décide d’embaucher Steve McQueen après que celui-ci ait feint un accident de voiture sur le tournage de la série
Au nom de la loi (Wanted dead or Alice) pour gagner du temps pour pouvoir tourner le western de John Sturges ; ses relations avec Yul Brynner seront assez tendus, le jeune comédien tentant de voler la vedette à son aîné. Le gouvernement mexicain, ayant estimé que
Vera Cruz d'Aldrich avait donné une image trop négative de son peuple accepta d’accueillir le tournage à condition que soient présents sur le plateau des huissiers mandatés spécialement pour vérifier qu'on ne nuirait cette fois-ci pas à l'image des Mexicains. Bref, un tournage mouvementé mais des gains phénoménaux qui firent rapidement oublier tout ça. La Mirisch Company et l’United Artists engrangèrent tellement de bénéfices qu’ils décidèrent de produire et ditribuer trois suites ou séquelles,
Return of the Seven en 1966 dirigé par Burt Kennedy toujours avec Yul Brynner,
Guns of the Magnificent Seven en 1969 réalisé par Paul Wendkos, George Kennedy reprenant le rôle de Chris, et enfin en 1972
The Magnificent Seven Ride! signé par George McCowan et dans lequel Chris est cette fois interprété par Lee Van Cleef. Dans les années 2000, une adaptation télévisée est mise en chantier qui aura pour acteurs principaux Michael Biehn et Eric Close. Une belle manne financière que ces "Magnificent Seven" dont seul le film de John Sturges est néanmoins demeuré célèbre !

Pourquoi ce western est-il devenu mythique ? D’abord pour son casting génialement bien choisi, le charisme des comédiens et la forte caractérisation de chacun de leurs personnages. Tout ceci n’est malheureusement pas forcément une qualité. En effet, comme dans un conte ou une histoire pour enfants, chacun des protagonistes n’est quasiment pourvu que d'une caractéristique marquante, bonne ou mauvaise ; ils deviennent ainsi tellement typés et artificiels qu’ils ressemblent plus à des pantins (ou, sans vouloir faire preuve de cynisme mais pour en rester à l'exemple du conte, aux sept nains de Blanche Neige) qu’à des êtres humains, les acteurs n’ayant finalement que peu d’occasions de véritablement leur apporter de l’épaisseur mais également peu le temps pour pouvoir s’exprimer à leur aise. Les diverses motivations de leurs personnages pour reprendre du service s’avèrent un peu plus intéressantes mais tout ceci est également aussi vite oublié qu’expédié. Chris/Yul Brynner, c’est le chef au fort charisme tout de noir vêtu, puissamment déterminé mais au caractère très sombre, déplorant de sembler traîner la mort derrière lui. Sa vie très (trop) solitaire semble exclusivement consacrée à aider ceux qui en ont besoin et qui le payent pour le faire. Vin/Steve McQueen est la conscience du groupe, jamais à court d’anecdotes de phrases toute faites, s’avérant finalement un agaçant moralisateur. Il accepte la mission car il s’est rendu compte ne pas être fait pour un travail laborieux. Britt/James Coburn est un homme taciturne, spécialiste du lancer de couteau, ne trouvant plus d’adversaire à sa taille et, lassé de devoir tuer aussi facilement tous ceux qui le provoquent ne sait plus quoi faire pour retrouver le goût de vivre hormis se lancer dans cette nouvelle bataille espérant y trouver des rivaux dignes de ce nom. Lee/Robert Vaughn est un homme mystérieux et élégant aux goûts de luxe, désormais handicapé par le fait de ne plus avoir les nerfs assez solides pour pouvoir continuer à exercer son métier de mercenaire dans de bonnes conditions, craignant désormais la mort à chaque instant. Apporter de l’aide à des gens dans le besoin et sans toucher un gros salaire lui permettrait de mourir dignement.

Bernardo/Charles Bronson est un homme courageux, dur à la tâche et qui estime que 20 dollars à une époque où on ne l’embauche plus pour autre chose que pour couper du bois est une somme suffisante pour reprendre du service. Il s’humanisera au contact de ces paysans et notamment de leurs enfants qui le rendront charitable, leur faisant part quant à lui son expérience en leur faisant comprendre que les véritables héros ne sont pas les mercenaires mais leurs parents qui se tuent au travail pour les élever correctement. Harry/Brad Dexter, c’est le seul véritable mercenaire du groupe, lucide et conscient de la difficulté de ce qui les attend mais travaillant uniquement par appât du gain ; si la ‘récompense’ proposée s’avère certes ridicule, il rejoint la bande persuadé qu’un trésor se trouve dans les montagnes alentour. Enfin Chico/Horst Buchholz, c’est le jeune chien fougueux et inconscient du danger qui rêve devant les ‘exploits’ de ses aînés, qui les admire sans retenue et veut à son tour leur prouver sa valeur. Peu attiré par le salaire, il ne pense qu’à imiter Chris et à connaître le même train de vie que son 'héros'. Il représente le pistolero utopique tel que les autres se voyaient dans leur jeunesse. A voir où ils en sont arrivés, l’avenir pour un mercenaire n’est guère reluisant, témoin les deux ou trois rares et courtes séquences au cours desquelles nos ‘Magnificent Seven’ laissent tomber le masque, se laissent à dévoiler leurs états d’âme. Il existe un autre personnage principal qui n’est autre que le chef des bandidos, l’ignoble Calvera. John Sturges et ses scénaristes s’enorgueillissait du fait que la plus grosse différence qui existait entre le film de Kurosawa et le leur était la figure du méchant de service, quasiment anonyme dans le film japonais, ayant au contraire un temps de présence important dans le western. "
Nous avons typés chacun des sept mercenaires - leur donnant un passé - et créant le rôle du chef des bandits". Calvera est dépeint comme un homme haut en couleurs, Eli Wallach en faisant des tonnes dans le cabotinage. Le résultat est malheureusement inverse à l’intention de départ ; en ayant fait un monstrueux bouffon, Sturges et William Roberts ont atténués son côté inquiétant, la force du chef dans
Les Sept Samouraïs provenant justement du fait qu’on ne le connaisse presque pas.

Un Eli Wallach assez pénible, des seconds rôles mexicains assez ternes et un groupe de sept acteurs qui pour certains font illusion par leur fabuleuse présence physique (Yul Brynner, Steve McQueen, Charles Bronson) mais n’arrivent jamais à enrichir leurs personnages sans grande originalité et très peu finement croqués, la psychologie étant aux abonnés absents alors que c’était ce qui faisait l’un des grandes forces des westerns de Sturges des années 50. Le personnage de Brad Dexter est quasiment sacrifié, Horst Buchholz s’avère un comédien très moyen et, hormis celui interprété par Robert Vaughn, les autres sont un peu tous bien trop monolithiques. Le manque de finesse se retrouve aussi dans le scénario d’ensemble, les quelques réflexions intéressantes à propos de l’engagement, de l'héroïsme, du sens de la vie et des responsabilité se retrouvant à doses homéopathiques au milieu d’une histoire simpliste, avant tout destinée au pur divertissement au point d’avoir laissé passer des invraisemblances grosses comme une maison (l’infiltration de Chico dans le campement de Calvera !). Mais ceci ne serait pas très grave si nous nous étions retrouvés devant un film formellement et rythmiquement ‘couillu’ comme il était de bon ton de dépeindre ces films des années 60/70 sans modération de testostérone signés par exemple par Robert Aldrich, Samuel Fuller ou Sam Peckinpah. Car non, connaissant l’histoire par cœur, je me suis concentré plus attentivement cette fois-ci sur la mise en scène et je n’y ai pas trouvé l’efficacité tant vantée par ailleurs, excepté dans la seule séquence vraiment digne du talent coutumier de Sturges, celle en début de film de l’enterrement de l’indien avec la conduite du corbillard jusqu'au cimetière par Yul Brynner et Steve McQueen se terminant par une violente fusillade. Pour le reste, les séquences d’action sont plus confuses qu’autre chose et l’on ne retrouve quasiment jamais l'intensité dramatique que le cinéaste arrivait à installer, non plus que sa fabuleuse appréhension de l'espace, sa science dans l’utilisation des paysages, son génie de la topographie et dans le placement des personnages à l'intérieur du cadre. Au lieu de ça, on nous place devant une mise en scène non seulement moyennement bien rythmée mais aussi sans aucune personnalité et pour tout dire extrêmement terne, en tout cas tout le contraire d’efficace ; un comble pour le réalisateur de
Fort Bravo, western qui au contraire comporte parmi les scènes d’action les plus fabuleuses de l’histoire du genre.
A tous les niveaux le western de John Sturges manque donc de finesse ; finesse pas même rattrapée ni par une romance aussi fadasse qu’inutile entre Chico et une mexicaine, ni par des rebondissements finalement très convenus, ni même par le savoir-faire de la mise en scène qui manque singulièrement de nervosité et d’éclat. Et l’on pourrait d’ailleurs en dire de même de l’élément pourtant toujours porté aux nues y compris par les détracteurs du film, la musique d’Elmer Bernstein. Si elle semble presqu’intouchable, elle ne m’a guère plus convaincue. Certes efficace par contre, elle manque elle aussi d’âme et a beaucoup de mal à nous toucher, finissant même par devenir lassante par son pompiérisme outrancier. Le grand compositeur fera bien mieux par la suite et nous démontrera par exemple au travers de sa partition pour
Du silence et des ombres (To Kill a Mockinbird) de Robert Mulligan qu’il était capable de nous faire venir les larmes aux yeux. Mais je vais arrêter là car en tant que grand admirateur de John Sturges je suis le premier peiné à devoir dire du mal d'un de ses films même s'il avait fait bien pire même auparavant (
La Proie des vautours). Ce petit 'égratignement' d’un film aussi mythique ne lui fera néanmoins pas grand mal, ses fans se comptant par ailleurs par millions. N’empêche qu’il marque pour moi le début d’un virage pour le western qui ne me plaît guère, lui faisant perdre ses plus grandes qualités, remplacées ici par une succession de bons mots assez poussifs et de 'One Man Show' successifs. Immense déception que ce western ultra conventionnel qui faisant mine de nous en mettre plein les yeux ne s’avère être qu’une banale série B facticement gonflée par son imposant budget et privée de vie : une coquille vide par manque de substance, de finesse et de profondeur ! A force de vouloir plaire au plus grand nombre… Quoique l’on en pense,
Les Sept mercenaires aura eu le mérite de contribuer à la notoriété de pas moins de quatre futures stars : Steve McQueen, Charles Bronson, James Coburn et Robert Vaughn.